A son habitude, JM Durand, ancien Maire adjoint au logement et aux finances, a publié il y a quelques semaines un long article sur la situation du commerce et la mixité dans notre ville.
J’ai toujours beaucoup de plaisir à échanger oralement avec JM Durand mais je regrette sa manière de présenter ses articles.
Il veille à leur donner l’apparence d’un article scientifique en multipliant les graphiques et les tableaux mais le choix de ses données fiscales ou statistiques est biaisé. Ces données chiffrées sont en effet instrumentalisées pour conforter ses hypothèses de départ.
Or, ses deux hypothèses de départ sont erronées comme je voudrais le démontrer dans cet article.
1/ « Il faut attirer plus de ménages aisés pour éviter le déclin économique de notre ville »
Selon JM. Durand, la mixité sociale serait un facteur d’appauvrissement de notre ville et il faut conduire une politique assumée d’embourgeoisement ou de gentrification de notre ville en y attirant plus de ménages aisés au détriment des classes moyennes et populaires.
Concrètement, son argument est le suivant : si le nombre de foyers imposables (qui paient l’impôt sur le revenu) dans Fontenay-aux-Roses baisse, les habitants achèteront moins chez les commerçants et font ainsi décliner le commerce. Pour information : dans notre commune 73% des ménages sont actuellement imposables à l’impôt sur le revenu (source :https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-92032#chiffre-cle-8) et ce chiffre est stable.
Son argument est faux car le fait de n’être pas ou peu imposable ne signifie pas qu’on est pauvre ! Sans rentrer dans de trop longues explications techniques, notre système fiscal a été en effet conçu pour encourager la natalité (et notamment la naissance d’un troisième enfant). Par conséquent, il conduit à fortement diminuer l’impôt à payer (voire à le supprimer) pour les familles nombreuses même si leurs revenus sont relativement importants. L’idée des « familles nombreuses non imposables qui coûtent cher à la collectivité et qui achètent peu chez nos commerçants » est donc fausse.
Il est faux aussi de croire que notre commune serait une commune qui souffre économiquement d’une population pauvre trop importante. Pour s’en rendre compte, mieux vaut regarder ce que les services fiscaux appellent le « revenu fiscal de référence » par foyer, c’est-à-dire l’argent que gagne une famille en une année donnée. Dans notre commune, ce revenu fiscal de référence est élevé : il se situe à 36 817 euros (source Ministère de l’économie) par foyer pour une moyenne nationale pour les villes de plus de 20 000 habitants qui se situe à 28234 euros. Par conséquent, contrairement à ce qu’affirme JM Durand, notre ville fait déjà partie des villes aisées !
Je rappelle par ailleurs que contrairement à ce que l’on croit spontanément, ce sont les habitants les plus aisés (ceux que JM Durand et le Maire veulent exclusivement attirer à Fontenay-aux-Roses) qui « coûtent » le plus cher à notre ville ou au territoire comme Vallée Sud Grand Paris. Non pas au niveau des aides directes du CCAS bien entendu mais parce qu’ils s’inscrivent plus spontanément à des activités sportives, artistiques ou associatives subventionnées par la ville ou le Territoire et qu’ils vont plus souvent au Théâtre ou au cinéma pour un coût nettement plus faible que dans des établissements privés grâce aux subventions publiques.
Enfin, l’augmentation du nombre d’habitants – riches ou pauvres – mettra en tension nos équipements publics et il nous faudra les agrandir ou en construire encore plus (écoles, crèches…) sauf à faire comme au Plessis Robinson ou à Clamart où il est devenu quasi impossible d’espérer une place en crèche faute d’accompagnement par la ville de l’arrivée de ses nouveaux habitants.
2/ L’attractivité de notre ville repose quasi exclusivement sur le fait de permettre aux automobilistes de disposer de la priorité absolue dans les choix d’aménagement urbain.
Sur le lien soit disant naturel entre l’accès au centre-ville en voiture et l’attractivité de ce centre-ville, M. Durand commet plusieurs erreurs :
Les spécialistes de l’aménagement urbain convergent désormais massivement pour considérer qu’un traitement plus apaisé des espaces publics en centre-ville contribue au contraire à le redynamiser. La plupart d’entre eux plaident désormais pour des espaces publics plus apaisés, avec plus de place sécurisée attribuée aux piétons et aux cyclistes pour donner envie à chacun de consommer et de passer d’un magasin à l’autre.
Malgré ces études, l’idée que « no parking no business » des années 60 est toujours très ancrée, même chez les commerçants. La réalité est plus nuancée : les commerçants surestiment généralement le nombre de clients qui viennent en voiture et sous-estiment le nombre de clients qui viennent à pied, à vélo ou en transports en commun. Ce qui s’explique facilement: ils entendront plutôt le client qui se plaint très fort qu’il est difficile de se garer en voiture (ce qui est inévitable), et non pas la majorité des clients qui viennent par d’autres moyens.
L’apaisement des rues booste le commerce: le fait de réduire la place de la voiture crée un espace plus agréable qui attire de nouveaux clients qui ne seraient pas venus sinon. La place de Gaulle apaisée (même si le choix du revêtement en fait un ilot de chaleur à l’exception de la partie arborée) en est un bon exemple : elle est désormais très fréquentée par des piétons et des cyclistes. Ces derniers ne font pas que passer, mais s’arrêtent pour profiter, pour jouer, pour parler ou pour se reposer, chose impossible dans la rue Boucicaut. En déviant le transit autour du centre-ville, on dévie aussi tout ce qui rend le centre-ville désagréable : le bruit, l’encombrement qui va au détriment de végétation ou de mobilier urbain attractif, le masquage visuel des vitrines par les voitures, le danger permanent que subissent notamment les personnes fragiles (enfants, séniors, personnes en situation de handicap).
L’apaisement ne signifie pas « supprimer » la voiture, mais simplement réparer le déséquilibre actuel qui favorise uniquement la voiture au détriment de tous les autres modes de déplacement. Il ne s’agit pas non plus d’« imposer » la marche, le vélo ou les transports en commun, mais simplement de les faciliter pour en faire des options attractives, qui vont à leur tour rendre le centre-ville plus agréable, plus convivial, plus humain.
Cela passe notamment par l’aménagement d’une offre de transport collectif de proximité digne de ce nom : la fréquence du bus de ville à Chatillon est plus de 4 fois supérieure à celle du bus « le Fontenaisien ». Cela passe aussi par l’optimisation des parkings déjà présents en centre-ville, comme le parking sous le marché. Ce parking n’est utilisé de façon optimale que pendant le marché car le reste du temps un automobiliste préférera se garer gratuitement en surface. Pourquoi dans ces conditions dépenser 1,3 M€ d’argent public pour acquérir 50 places souterraines à la Cavée comme le fait le Maire de Fontenay aux Roses ?
Durand, comme tous ceux qui priorisent la voiture plutôt que les mobilités actives, explique que la voiture est indispensable pour les plus de 60 ans qui ne peuvent marcher ni faire du vélo. C’est sans doute le cas de certaines personnes ayant du mal à marcher, mais la vision selon laquelle une personne de 60 ans ne peut plus se déplacer à vélo (à assistance électrique) est une vision triste. Comme dit l’adage “ce n’est pas quand on est vieux qu’on arrête de faire du vélo ; c’est quand on arrête de faire du vélo qu’on est vieux”.
En effet, comme le montre cette étude, l’usage du vélo varie peu avec l’âge : (source site ecologie.gouv du 18 décembre 2021)
Aux Pays-Bas, la plus grande catégorie de personnes adultes qui se déplacent à vélo, ce sont les séniors entre 65 et 75 ans ! Et les nombreux +75 ans qui se déplacent à vélo le font sur un tiers de leurs trajets. Non pas parce que c’est dans leur culture, mais parce que leurs élus leur ont construit un espace public qui invite à la marche, au vélo et à l’utilisation des transports en commun. Un centre-ville convivial et dynamique commercialement n’est pas un phénomène culturel mais le résultat d’un choix d’urbanisme. La rue Houdan piétonne à Sceaux le démontre sans équivoque.
Enfin, JM Durand s’attache à démontrer, comme Monsieur le Maire, que des familles nombreuses et des séniors ne peuvent pas faire des courses à vélos ou à pied. Pourtant, 29,2 % des foyers à Fontenay-aux-Roses n’ont pas de voitures, et ce chiffre est en hausse. Comment font-ils alors pour faire leurs courses ?
Conclusion
En conclusion, le développement du commerce de proximité est une cause d’intérêt communal majeure et il est dommage que M. Durand en défende une approche trop limitée reposant sur deux actions (favoriser la gentrification de la ville et son accessibilité aux voitures).
Ce développement passe indéniablement par d’autres critères :
- Des choix d’aménagement urbain plus en phase avec les attentes des habitants (espaces publics apaisés, places végétalisées, trottoirs élargis…) ;
- Une priorité donnée aux mobilités actives et au transport collectif pour l’accès au centre-ville ;
- Le développement de nouveaux services en lien avec l’association des commerçants (conciergerie, espace de co-working, livraisons mutualisées et à vélo…) ;
- Une politique pertinente de préemption des locaux commerciaux pour accroitre la diversité du tissu commercial ;
- Un soutien financier temporaire à de nouveaux commerçants au niveau du montant du bail (comme pour la librairie) ;
- Une politique d’animation et d’organisation d’événement festifs au centre-ville.
Il est donc dommage que M. Durand n’ait pas pris le temps d’analyser l’utilité de ce cocktail d’actions au lieu de se limiter à deux principes qui sont faux.
Gilles Mergy
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Si les arguments chiffrés de monsieur Durand peuvent se discuter, l’argumentation de monsieur Mergy ne me semble pas défendable :
1. Certes, Fontenay n’est pas une ville pauvre, mais il est indéniable que la quantité et la qualité des commerces sont étroitement liés au pouvoir d’achat et à la CSP des habitants d’une commune. D’autre part, il faut comparer ce qui est comparable : le revenu moyen par habitant comme l’offre de commerces doivent ainsi se comparer aux communes voisines, et de ce point de vue, la comparaison s’avère très éclairante et ne plaide pas en faveur d’une accentuation de la mixité sociale, pour laquelle Fontenay n’est d’ailleurs pas en reste… Enfin, il est faux de dire que les ménages aisés sont ceux qui coûtent le plus cher à la collectivité : même si ces ménages sont davantage “consommateurs” de services publics, ce qui reste à démontrer, ils participent davantage au financement de ces services, via la fiscalité locale et une participation directe plus importante à des services comme les cantines scolaires par exemple (Cf. différentiel de coût d’un repas en fonction du quotient familial…). Bref, la réalité est têtue : plus il y a de ménages aisés, plus une ville est riche, et plus son offre de commerces est diversifiée et abondante.
2. D’accord avec l’idée d’une circulation apaisée, voire une extension des voies piétonnes. Toutefois, l’accès des commerces par les voitures reste une nécessité pour de nombreuses personnes (et pas seulement les personnes âgées qui ne peuvent se déplacer en vélo ou à pied) : pour une famille avec trois ou quatre enfants qui n’habite pas à proximité immédiate des commerces, il est difficile d’envisager de faire les courses pour trois ou quatre jours sans voiture… A cet égard, la comparaison de monsieur Mergy avec la réussite de la rue Houdan à Sceaux est intéressante pour au moins deux raisons : d’abord parce que la population à Sceaux est plus aisée qu’à Fontenay (inutile d’y revenir…) mais aussi, parce que la rue piétonne de Sceaux est en réalité très accessible pour les automobilistes : en effet, la rue Houdan, dans sa partie piétonne, est desservie par trois grands parkings situés à proximité immédiate des commerces…
Bref, face à une réalité complexe, il convient de prendre en compte tous les éléments et se garder d’une approche plus guidée par l’idéologie que par un vrai pragmatisme économique …
Bien d’accord sur l’insuffisance de l’offre de transports en commun, et aussi sur leur amplitude horaire.
Quant au vélo, difficile de se comparer avec les Pays Bas : là bas il n’y a pas besoin de se fatiguer à grimper des rues pentues et surtout pas de vol ni de dégradations de matériels.