Préambule
Cet article est librement inspiré de celui de Gail Tverberg publié sur son blog (ourfiniteworld.com) et intitulé “Russia’s attack on Ukraine represents a demand for a new world order“ (l’attaque de l’Ukraine par la Russie exprime une volonté de changer l’ordre mondial).
G Tverberg est une actuaire américaine, actuellement chercheuse indépendante sur les questions géopolitiques que pose le monde fini dans lequel nous vivons. Son analyse des problèmes géopolitiques du monde est souvent en décalage par rapport à celle des économistes classiques. Elle explique la plupart des crises économiques et des guerres par des considérations énergétiques : pic du charbon, du pétrole, accès aux ressources par la force, etc. C’est l’originalité de ses analyses qui m’a incité à proposer cet article.
Une ressource vitale : l’énergie
Une économie moderne est un système physique qui a besoin d’énergie pour fonctionner. Sa fonction est de transformer des matériaux bruts (des ressources naturelles) en produits finis de toutes sortes, vendus aux consommateurs.
L’amiral américain Rickover écrivait dès 1957 :
” Nous vivons dans ce que les historiens pourraient appeler un jour l’ère des énergies fossiles. Une consommation élevée d’énergie est synonyme d’un haut niveau de vie. Une réduction de la consommation d’énergie par tête a toujours conduit dans le passé à un déclin des civilisations et à un retour à un style de vie plus primitif (…)”
L’infini n’existe pas sur Terre : la déplétion des énergies fossiles va s’amplifier et déstabiliser l’économie mondiale
NB : Déplétion : diminution d’une quantité
L’amiral Rickover poursuit :
(…) les réserves d’énergie fossile sont susceptibles d’être épuisées à une date qui se situe entre 2000 et 2050. (…)
En 1972, des chercheurs du MIT (Donella Meadows et autres) ont publié le fameux rapport Meadows, en français “les limites à la croissance“. Ces chercheurs vivaient dans une économie florissante avec une croissance à deux chiffres. En bons scientifiques ils se sont demandé si l’économie pouvait croître indéfiniment, ou s’il existait des limites, et si oui lesquelles. Ils ont modélisé le système économique mondial et son environnement naturel par un jeu de relations physico-mathématiques transcrites dans un logiciel. Les simulations réalisées prévoient toutes, des limites à la croissance, et même un effondrement possible des économies industrielles au cours de notre siècle, soit par manque de ressources (par ex. nourriture insuffisante) , soit par excès de pollution (plastic, CO2)..
Nous entrons effectivement dans une période où l’énergie devient plus difficile d’accès. La société doit faire plus d’efforts pour s’approvisionner en énergie, ce qui laisse moins de ressources pour produire les biens que nous sommes habitués à consommer. Le coût d’extraction (pour le producteur) des énergies fossiles augmente. Mais contrairement à ce que disent les économistes, G. Tverberg affirme que la déplétion du pétrole (en fait de l’énergie) se traduit par un prix (pour le consommateur) plus volatil mais surtout globalement en baisse. La raison en est qu’un prix élevé de l’énergie détruit les branches de l’économie les plus énergivores, devenues non rentables. L’activité économique ralentit, la récession menace. Le prix élevé de l’énergie ne dure pas assez longtemps pour permettre au producteur d’investir dans de nouveaux gisements.
On voit qu’on est confronté à une situation où il devient difficile (impossible ?) de maintenir le prix de l’énergie :
- Suffisamment élevé pour le producteur, lui permettant d’investir dans de nouveaux gisements
- Suffisamment bas pour le consommateur, pour qu’il puisse se l’offrir, qu’il soit un industriel ou un simple particulier
Il faut bien voir que nous ne sommes pas face à un épuisement physique du pétrole dans le sous-sol terrestre, nous sommes face à une énergie plus chère à extraire, que les producteurs n’arrivent pas à vendre à un prix suffisamment élevé. C’est la loi des rendements décroissants. Problème : l’énergie fossile (gaz, pétrole, charbon) est indispensable et non substituable. Le renouvelable s’ajoute aux énergies fossiles mais ne les remplace pas, trop intermittent, et trop dépendant de celles-ci pour sa fabrication, son installation, son entretien.
Une situation où il serait durablement impossible de satisfaire ces deux contraintes sur le prix de l’énergie, pourrait conduire à un épuisement radical des réserves d’énergie (fossile) utilisables et à un effondrement de nos économies (thermo)industrielles.
L’économie de la Russie est au bord de l’effondrement. Elle ne s’est pas remise de l’effondrement de l’URSS.
Cette affirmation repose sur l’analyse d’un indicateur, la consommation d’énergie par personne. Je rappelle qu’énergie et PIB sont fortement corrélés. On préfère mesurer l’énergie consommée plutôt que le PIB, car l’énergie est une grandeur physique objective. Le PIB ne l’est pas. On l’évalue en unités monétaires mal définies et fluctuantes (inflation, prix arbitraires, dette mal prise en compte, etc…)
Cet indicateur a fortement chuté lors de l’effondrement de l’URSS et depuis il n’a pas retrouvé son niveau d’avant l’effondrement. De plus, les oligarques accaparent une part importante de ce faible PIB. Il ne reste pas grand-chose pour la population. Un deuxième effondrement menace…
L’économie de la Russie repose en grande partie sur l’exportation des matières premières qui existent en grandes quantités dans son sous-sol, gaz, pétrole, charbon et autres. Problème : depuis plusieurs années le prix mondial des hydrocarbures est bas (trop bas pour le producteur). L’état russe ne peut pas investir dans de nouveaux gisements, ni prélever le niveau de taxes souhaité pour acheter la paix sociale. La Russie n’a pas non plus diversifié son économie dans la fabrication de produits finis. Elle a préféré muscler ses moyens militaires et sa police.
La dépendance du reste du monde aux ressources naturelles dont la Russie est richement dotée, donne à Poutine un énorme pouvoir de nuisance.
La Russie est le premier exportateur de gaz, le deuxième exportateur de pétrole. Elle exporte aussi des métaux très recherchés comme le palladium ou le titane. La Russie fournit ainsi au reste du monde les grandes quantités de ressources naturelles vitales qui lui sont indispensables et assurent ainsi sa prospérité, mais pas celle de la Russie.
Selon G. Tverberg, V. Poutine estime que son pays n’est pas correctement rémunéré ni reconnu pour la prospérité que ses exportations permettent au reste du monde. Il estime être grugé par les règles régissant le marché international, mises en place par ” l’Ouest “, avec le dollar, monnaie des USA mais imposée comme monnaie d’échange international. “Privilège exorbitant disait le général de Gaulle – Le dollar, notre monnaie, votre problème” répondent les Américains.
A cela s’ajoute le fait que le commerce international semble avantager l’industrie des services tels que ceux offerts par les GAFAM. En quelques années ces multinationales sont devenues les plus riches du monde. Poutine considère que sans les ressources naturelles qu’il exporte, ces entreprises n’auraient pas pu autant se développer, et que la part qu’il reçoit en retour sur les richesses produites, est loin d’être à la hauteur de sa contribution. Il veut changer cette situation. On lit dans certains journaux le mot “dé-dollarisation”. Certains pays souhaiteraient s’affranchir du dollar comme monnaie d’échange international voire comme monnaie de réserve. C’est un effet secondaire non désiré des sanctions financières contre la Russie. La confiance faiblit…
Les abondantes ressources naturelles dont la Russie est dotée, et dont le monde a besoin donne à Poutine un pouvoir énorme sur le reste du monde et il veut que cela se sache. La guerre contre l’Ukraine est un bon moyen de démontrer son pouvoir de nuisance (à double titre…). Il veut à l’avenir pouvoir imposer son prix aux précieuses ressources naturelles qu’il voudra bien exporter. Si cette stratégie réussit, elle débouchera sur un nouvel ordre mondial. Les pays mal pourvus en ressources naturelles vont souffrir, dont l’Europe.
La guerre de la Russie contre l’Ukraine a de multiples causes dont la volonté de changer l’ordre du monde
Cette guerre a de multiples causes :
- empêcher à tout prix (y compris par la guerre) l’arrivée de l’OTAN en Ukraine
- punir l’Ukraine qui a commis le sacrilège de s’être rapprochée de l’Occident, alors que selon Poutine, l’Ukraine n’est qu’une petite province de la Russie
- empêcher définitivement l’Ukraine de prélever un droit de passage sur le gaz exporté par la Russie vers l’Europe, via son territoire
Comme annoncé ci-dessus, il y a une autre raison : faire prendre des sanctions par l’Occident qui vont se retourner contre lui (surtout contre l’Europe) et ruiner son économie. Cela mérite quelques explications.
Une des premières conséquences du déclenchement de cette guerre est une forte augmentation de l’énergie, gaz, pétrole et même charbon. Cette augmentation affaiblit l’économie européenne (et pas qu’elle) et renforce les rentrées financières de la Russie (tant qu’on lui achète de l’énergie).
Les sanctions décidées par l’Occident à l’encontre de la Russie pour tenter d’arrêter la guerre, (diminution des achats de gaz russe, sanctions financières, etc.) amplifient cette augmentation déjà forte. Or l’Europe, très dépendante du gaz russe (voir l’article original de G Tverberg) ne peut pas s’en passer, cela ruinerait son économie. Les sanctions risquent fort de frapper plus durement l’Europe qui les applique, que la Russie qui les subit. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ces conséquences ont été anticipées et voulues par Poutine. Une conséquence voulue s’appelle un objectif…
Mais la guerre ne durera pas toujours. Personne ne sait si cette situation de prix élevé de l’énergie va se poursuivre après la guerre (du moins dans sa phase de haute intensité). Selon G. Tverberg, le monde a atteint les limites de ce qu’il peut extraire comme ressources naturelles du sous-sol de la Terre. Pour extraire plus, l’économie doit s’adapter à un prix plus élevé de ces ressources. Il n’est pas sûr que tous les pays y arrivent. L’Europe en fait partie. S’ils n’y arrivent pas c’est l’effondrement.
Quant au renouvelable, G. Tverberg doute que ce soit une solution évitant l’effondrement, car il est dépendant des énergies fossiles pour sa fabrication et sa maintenance. Il ne survivra pas (dans la forme sophistiquée qu’il a aujourd’hui) à la fin de l’énergie fossile.
Mais tout le monde peut se tromper dans ses prévisions, surtout comme le dit Pierre Dac, quand elles concernent le futur !
Daniel Beaucourt, mars 2022
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très intéressant