Utiliser l’énergie comme monnaie. Annexer les pays voisins et autres propositions radicales des Technocrates Américains des années 30

Le projet délirant des Technocrates américains, The Technate

Il y a parfois des coïncidences troublantes.

Il y a quelques jours, comme tout le monde, j’ai pris connaissance avec une certaine sidération, des annonces provocantes du président Trump, d’annexer le Canada en en faisant le 51ème état des USA, d’acheter (ou voler) le Groenland qui n’est pas à vendre, et de contrôler le canal de Panama.

Peu après, je découvre dans le livre Sans transition de l’historien des sciences JB Fressoz, qu’une poignée d’experts américains regroupés dans le Mouvement Technocratique, avait émis l’idée dans les années 30, d’annexer tous les pays situés dans la périphérie des Etats Unis, de l’équateur au pôle Nord, soit un quart de l’hémisphère Nord. La carte ci-dessous montre l’étendue de ce super État qui serait gouverné par une technocracy, celle de l’alliance Technocracy Inc.

Le Technate Nord Américain (source Wikipedia)

Jusqu’à la lecture du livre de JB Fressoz, j’ignorais l’existence du Mouvement des  Technocrates aux États-Unis et de leurs idées délirantes. Ils visent en effet à remplacer la démocratie comme système de gouvernement, par un système technocratique (the Technocracy), donnant tout pouvoir aux ingénieurs seuls capables, selon eux, de gérer scientifiquement le Technate (une Amérique agrandie pour atteindre la « bonne » taille) avec la plus grande efficience ! Trump a-t-il été conseillé par les héritiers des Technocrates ? Je ne sais pas mais la coïncidence est troublante.

La gouvernance technocratique selon les Technocrates américains des années 30

Ce n’est pas un hasard si les idées des Technocrates sont nées après la crise de 29. Pour eux cette crise très sévère signe l’échec du capitalisme et de son système de prix (le marché), système bien trop irrationnel capable de produire à la fois surabondance et extrême pauvreté. Il faut remplacer ce système obsolète, par un autre, plus rationnel, géré scientifiquement, recherchant avec la plus grande efficacité, la satisfaction égalitaire et durable de tous les citoyens. Pour cela il faut chasser du pouvoir hommes d’affaire et financiers, car ils sont corrompus, uniquement motivés par la recherche du profit et de la rente, sans souci du bien-être collectif. Il convient de les remplacer par des scientifiques et ingénieurs agissant efficacement et rationnellement dans l’intérêt commun.

Par efficacité il faut entendre, éviter le gaspillage, économiser les ressources : surtout l’énergie, condition de toute richesse, ne les utiliser que pour produire des biens standardisés utiles à tous. Finie la consommation ostentatoire pour prouver qu’on est riche, finie l’obsolescence programmée, finie la publicité omniprésente, injonction permanente à consommer des choses inutiles gaspillant les ressources.

C’est justement pour garantir la disponibilité des ressources naturelles (considérées comme précieuses et rares) que les Technocrates proposent la mise en place de ce super État, qu’est le North American Technate. Son immense territoire, facile à défendre car protégé par deux océans, offrirait en quantité suffisante, toutes les ressources naturelles nécessaires à son économie. Il fonctionnerait ainsi dans une relative autarcie qui limiterait voire éviterait le besoin de recourir au commerce international avec le reste du monde, trop lointain, pas assez fiable, présentant le risque de se rendre dépendant de pays étrangers potentiellement hostiles….

Pour éviter le chômage massif consécutif à la crise de 29, ils proposent de réduire le temps de travail à 16 heures par semaine. Cette faible durée suffit car l’abondance énergétique a considérablement augmenté la productivité du travail. Travailler plus conduirait à produire trop et à épuiser les ressources prématurément. Pour les Technocrates, c’est l’abondance d’énergie qui a rendu inutile le volume énorme d’heures de travail d’autrefois (un lien avec l’Intelligence Artificielle, future destructrice d’emplois ?). Pour eux c’est bien l’augmentation de la productivité du travailleur permise par l’énergie, qui est la cause de la crise de 29 : surproduction, trop de travailleurs, licenciements massifs, baisse de la demande, surproduction, etc.

Encore plus surprenant, le dollar serait remplacé par une monnaie indexée sur l’énergie, les energy certificates. Ces derniers distribués par l’État sur une base égalitaire sont non cessibles et périmés après un temps prédéfini. On ne capitalise pas ! Le prix des biens est défini par la quantité d’énergie nécessaire à leur fabrication. Ce n’est pas très éloigné des taxes carbone d’aujourd’hui…

Bref cette gouvernance utopique est fortement teintée de socialisme mais aussi de totalitarisme. Elle est entre les mains exclusives d’un petit groupe d’ingénieurs et de scientifiques qui se décrivent eux-mêmes comme le soviet des ingénieurs chargé de  piloter le pays comme une entreprise. Tout autre profession est jugée inapte à gouverner.

Un lien avec la gouvernance américaine ou européenne ?

Parmi ces méthodes de gouvernement, quelques-unes semblent avoir inspiré le président américain, nettement moins la Communauté Européenne.

• La sanctuarisation de l’accès aux ressources naturelles, y compris en s’emparant (cf. Trump) de celles de ses voisins (Canada, Groenland). L’UE n’a pas cette agressivité, elle affirme le caractère sacré des frontières.
• La reconnaissance de l’énergie comme ressource vitale (le gaz surtout, aux USA) : drill baby drill (fore bébé fore). L’UE (en fait l’Allemagne) ne jure que par le renouvelable (intermittent) et le gaz autrefois russe, désormais américain bien plus cher. La France ne jure que par le nucléaire, mais ses centrales vieillissent et devront être à renouvelées, ce qui est très long et très cher et aurait dû être engagé il y a au moins dix ans. L’économie européenne est à la peine faute d’énergie abondante et peu chère.
• Une dose de dirigisme et de protectionnisme. Trump protège son économie, il taxe les produits importés et soutient les entreprises américaines soit par des subventions, soit par des marchés publics préférentiels (comme tous ses prédécesseurs). Cette politique protectionniste est censée faire revenir au pays l’industrie américaine qui en est partie, et redonner sa grandeur à l’Amérique. L’économie américaine est beaucoup moins libérale qu’on le croit. Côté UE, la Commission Européenne continue de croire (naïveté ? aveuglement ?) aux bienfaits du libéralisme et du libre-échange. Le mot protectionnisme est un gros mot…En dehors de ces quelques idées, aucun gouvernement en place n’a installé une gouvernance inspirée de Technocracy Inc, autoritaire, malthusienne, dogmatique,  anti croissance. Mais la croissance peut-elle être éternelle ?Pour en savoir plusSans transition de Jean-Baptiste FRESSOZ Editions du Seuil

  Des pages Wikipedia :

  • Mouvement technocratique
  • Technocracy movement (version en anglais plus complète)
  • Thorstein Veblen (économiste et sociologue particulièrement visionnaire)
  • Howard Scott (fondateur de Technocracy Inc)

  Daniel Beaucourt

  Février 2025