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Un léger décalage

Désolé de décevoir les amateurs je vais parler d’énergie et pas de dessins humoristiques ! Et merci à Sempé, à qui j’emprunte ce titre, pour ses dessins si élégants.

Des experts qui parlent comme un livre…

J’écoutais dimanche dernier l’émission “L’esprit public” diffusée sur France Culture comme tous les dimanches de 11h à midi. On y parle de politique, géopolitique et économie. On y invite les meilleurs experts du domaine, diplômés des meilleurs écoles ou universités de la République, et même d’Amérique, et occupant des postes à responsabilité prestigieux.

Le sujet du 15 mai dernier était “Le temps se couvre sur l’économie mondiale” Quelques indicateurs sont cités justifiant cette affirmation :

  • Croissance nulle début 2022 (en France)
  • Inflation supérieure à 5%
  • Pouvoir d’achat en baisse

La conversation démarre bien. Le premier intervenant fait le constat que la période actuelle se caractérise par la rareté de certaines ressources, énergie, matières premières, composants électroniques, etc… Selon lui cette rareté serait nouvelle, nous n’y serions pas habitués, elle perturbe l’économie. Aucune explication sur les causes de cette rareté nouvelle (soudaine ?). Entendre un économiste dire que la rareté est nouvelle, est très étonnant. L’économie n’est-elle pas l’exploitation de la rareté de tout ce qu’elle touche ? En réalité il n’y a pas seulement rareté, il y a pénurie.

Un autre interlocuteur explique que les confinements liés au COVID 19 ont profondément bousculé les prix des matières premières, qui après être tombés en territoire négatif, remontent fortement, l’économie redevenant normale. Puis très vite les matières premières et leur prix sont oubliées et la conversation glisse sur le terrain financier qu’elle ne quitte pratiquement plus pendant toute l’émission.

Les expressions “Taux d’inflation”, “taux des banques centrales”, “taux de croissance”, “taux de change”, “déficits”, “anticipation des marchés” et d’autres monopolisent le discours. Les intervenants se querellent sur l’évolution probable des taux, sans jamais en présenter la moindre conséquence concrète sur l’économie réelle, donc sur la vie des gens (inflation, pouvoir d’achat, chômage). Quel effet produirait par exemple une augmentation des taux de la BCE ? Bref on cherche un remède (apparemment il ne peut être que monétaire) avant d’établir le moindre diagnostic…

… et évitent de parler des sujets qui fâchent

 L’émission m’est alors apparue comme une conversation académique, un peu hors sol, entre gens de bonne compagnie, formées aux mêmes écoles, celles qui forment l’élite du pays. Une évidence s’imposa dans mon esprit. On parle de finance pour ne pas parler d’autre chose, des vraies causes de la faiblesse de l’économie mondiale, finalement assez triviales, l’épuisement progressif des ressources naturelles, d’abord l’énergie puis tout le reste. Sous-alimentée l’économie mondiale s’affaiblit…

Je ne prétends pas que les économistes invités aient dit des choses fausses, ni que la finance n’a pas d’effet sur le monde, elle en a beaucoup trop au contraire. Mais leur analyse est partielle. Ils évitent soigneusement de parler de la cause première des désordres économiques actuels, cela les obligerait à sortir de leur domaine de compétence (de confort ?) et à annoncer des mauvaises nouvelles. Cette cause, c’est la simple application des lois de la Physique, un domaine qui n’intéresse pas les économistes. Manquant d’énergie l’économie s’affaiblit, comme un être vivant qui ne mange pas à sa faim.

Premier décalage : il y a ce qui est, ce qu’on dit, ce qu’on ne dit pas

Ce n’est pas la finance qui fait tourner l’économie, c’est l’énergie

C’est ce que défendent les scientifiques qui s’intéressent à l’économie. Je recommande aux personnes pas convaincues de l’importance de l’énergie dans nos sociétés, de lire les tribunes de Maxence Cordiez dans les Echos et en particulier Bientôt la fin de la croissance (https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/bientot-la-fin-de-la-croissance-136749 ), de regarder les vidéos de JM Jancovici (par exemple l’introduction de son cours donné à l’Ecole des Mines) ou de lire les BD de Stuart McMillen, notamment Esclaves énergétiques et Pic pétrolier (https://www.stuartmcmillen.com/fr/archives-de-bd/).

Dans son livre Wealth, Virtual Wealth and Debt, Frederick Soddy (chimiste anglais) écrit  dès 1926 que la monnaie n’est qu’une richesse virtuelle, la véritable richesse est la quantité d’énergie dont on dispose chaque jour. Il propose de lier la monnaie à la dissipation d’énergie (dans la production de biens). Soddy a prédit la crise de 1929. Sa proposition montre clairement que moins d’énergie disponible implique une perte de valeur de la monnaie et donc l’inflation. Le problème de l’inflation n’est pas monétaire (sauf manipulations), il est physique : pas assez d’énergie pour faire tourner les machines (pour produire). Dans notre économie libérale, la quantité de monnaie en circulation ne dépend pas des lois de la physique et tend à s’affranchir de la quantité de biens réels produits (qu’il ne faut surtout pas mesurer en unités monétaires, mais en nombre de choses produites). Cette déconnexion produit des bulles financières qui finissent par éclater provoquant des crises. Leur éclatement inéluctable n’est que le retour de la physique qui à la fin gagne toujours…

Plus récemment en 1971 dans son livre the entropy law and the Economic Process, Nicholas Georgescu Roegen (mathématicien et économiste roumain) fait la relation entre dissipation d’énergie (par le système économique) et production d’entropie, c’est-à-dire la dégradation des ressources naturelles (voir schéma ci dessous, source wikipedia). Non seulement les ressources naturelles sont limitées mais on ne peut pas entièrement les recycler et le recyclage consomme de l’énergie. Inéluctablement un jour viendra où on en manquera… Y serions-nous déjà ?

Le système économique vu comme un système physique

Je cite enfin cette phrase célèbre de Kenneth Boulding, économiste américain :

Celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. “

Deuxième décalage : Il y a ce qui est, et il y a ce qu’on croit

 Les tours de passe passe de la commission européenne 

Copie d’écran Twitter :

Traduction (par deepl.com) : L’Union européenne s’apprête à proposer à ses importateurs de gaz une solution pour éviter une violation des sanctions lors de l’achat de carburant à la Russie, tout en satisfaisant effectivement à la demande du président Vladimir Poutine de payer en roubles.

 Copie d’écran Reuters :

Traduction (deepl) : L’UE estime que des paiements légaux pour le gaz russe sont possibles, mais met en garde contre les comptes en roubles.

Extrait du Courrier International :

https://www.courrierinternational.com/article/energie-les-tours-de-passe-passe-de-l-ue-pour-ne-pas-payer-le-gaz-russe-directement-en-roubles  Publié le 14 mai

Les tours de passe-passe de l’UE pour ne pas payer le gaz russe directement en roubles

Réagissant aux sanctions européennes, la Russie exige désormais que les pays “inamicaux” règlent leur facture de gaz en roubles plutôt qu’en euros ou en dollars. Ce qui, pour l’Union européenne, revient à contourner ses propres sanctions… à moins de recourir à quelques étapes et déclarations : le paiement se fera en euros et la conversion sera assurée côté russe. Un compromis qui permet à tout le monde de sauver la face.

 Donc l’Europe continuera d’acheter du gaz à la Russie… malgré les sanctions.

Comment mieux confirmer le caractère vital de l’énergie dans l’économie, et l’atteinte voire le dépassement du pic de production mondiale d’énergie fossile. Remarquons que cette information a été publiée par l’agence Bloomberg, l’agence Reuters et La Repubblica relayée par le Courrier International. Rien dans la presse mainstream française ?

Troisième décalage : il y a ce qu’on dit et il y a ce qu’on fait

 Daniel Beaucourt mai 2022

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