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Roman Opalka artiste extraordinaire et physicien génial sans le savoir

Roman Opalka est un artiste franco-polonais, parfois qualifié de peintre conceptuel, dont l’œuvre Opalka 1965/1 à l’infini, est très impressionnante, car elle se confond avec la vie même du peintre. Il a passé plus de 40 ans de sa vie de 1965 à 2011, à peindre les nombres entiers successifs sur ses toiles, fixant ainsi la trace de l’écoulement inexorable du temps puis son effacement progressif et définitif…

Opalka 1965/1 à l’infini, une œuvre impressionnante !

Opalka 1965/1 a l’infini, Détail

Voici ce que dit le Centre Pompidou de l’œuvre d’Opalka, (Nadine Pouillon ; Extrait du catalogue Collection art contemporain – La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne , sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007; https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cny7495

NB : C’est moi qui souligne.

Après dix années de recherches, Roman Opalka conçoit, en 1965, le projet – qui se confond désormais avec celui de sa vie – de représenter en peinture, art de l’espace, l’écoulement inexorable du temps. Ainsi sur la première toile dont le fond a été préparé en noir, il inscrit à la peinture blanche en haut à gauche le chiffre 1 au moyen d’un pinceau n° 0. Il déroule ensuite les nombres successifs [dans l’ordre croissant] jusqu’au bas droit de la toile en saturant la surface du tableau. Leur suite se continue sur les toiles suivantes, de format identique – Détails d’une œuvre totale poursuivie jusqu’à l’infini ou, plutôt, l’indéfini.

[A partir de 1972] […] le fond de chaque toile s’éclaircit de 1 % de blanc par rapport à  la précédente de sorte que, à la fin, à la disparition d’Opalka, les chiffres s’inscrivent en blanc sur blanc : « Il faut prendre la mort comme réelle dimension de la vie.» Après chaque journée de travail, l’artiste prend frontalement, devant sa toile en cours, une photographie de son visage, toujours dans les mêmes conditions d’habillement et d’éclairage, montrant une autre image de l’écoulement du temps sur lui-même. {…]

Cette œuvre m’impressionne. Vous aussi peut-être. Les nombres du premier tableau vont de 1 à 35227. La série en compte 233. Le dernier nombre inscrit est 5607249. C’est plus de 40 ans d’une vie, de 1965/1 à 2011/5607249. Le dernier tableau est blanc, pas le premier.

Voici les raisons pour lesquelles cette œuvre m’intéresse tout particulièrement. Après avoir publié dans les Nouvelles de Fontenay, plusieurs articles traitant de l’énergie et de son importance dans nos économies modernes, je voudrais présenter les idées originales de Francois Roddier sur l’économie. Cet astrophysicien, retiré des affaires, s’est penché sur l’économie avec son œil aiguisé de scientifique. Il a animé un blog jusqu’à il y a peu et écrit plusieurs livres (francoisroddier.fr). Il considère que l’économie est un système thermodynamique. Pour comprendre cette analogie, quelques connaissances dans ce domaine sont utiles. Par exemple avoir une idée de ce que disent les deux principes de la thermodynamique. Ils sont bien plus conceptuels que techniques, et peuvent être compris par tout le monde, mais je me rends compte qu’il n’est pas facile de les présenter simplement et de façon intuitive.

Il se trouve que la meilleure présentation du 2 ème principe de la thermodynamique que j’ai trouvée, c’est celle de cet artiste qu’est le peintre Roman Opalka. avec son œuvre OPALKA 1965/1 – ∞.

Opalka nous fait physiquement sentir ce qu’est le temps, sa fuite inexorable, son effet sur nous, notre vieillissement inévitable, et notre fin ultime. Les physiciens expriment cette même évolution mais de façon distanciée, impersonnelle. L’énoncé des principes de la thermodynamique est abstrait, dépouillé de toute subjectivité. Leur compréhension n’est pas immédiate. Pourtant dans les deux cas c’est bien la même idée qui est exprimée, l’irréversibilité du temps, l’évolution inéluctable des choses vers un état d’équilibre ultime que François Roddier décrit ainsi : “en thermodynamique l’équilibre c’est la mort.”

L’extraordinaire expression de la flèche du temps par Roman Opalka

Je voudrais insister sur le sens de l’éclaircissement progressif du fond du tableau, initialement noir, qui lentement devient blanc, laissant l’impression que le temps efface peu à peu le tableau. Voici donc un extrait d’un autre commentateur, Joël Chevrier professeur de physique à l’université de Grenoble. (theconvesation.com) :

[…] Pour explorer ce temps qui passe sans retour possible, Roman Opalka ajoute un premier élément essentiel. Dans le fond initialement noir du tableau, il ajoute toujours un peu plus de blanc. Dans les derniers tableaux, il peint avec du blanc sur du blanc. Le tableau s’en va graduellement, et de manière irréversible, vers une apparente homogénéité qui gomme toutes les variations spatiales. On cherche les chiffres dans le blanc.

[OPALKA, en travail sur 1965/1 – ∞], Acrylique sur toile. //www.diconodioggi.it/wp-content/uploads/2014/07/opalka.jpg

Tout tend à se mélanger spontanément. On enseigne aux étudiants en physique que l’homogénéisation progressive est une conséquence de l’évolution irréversible des systèmes isolés. De fait, et c’est étonnant, Roman Opalka introduit ainsi ce que l’on nomme souvent ≪ la flèche du temps », marque des transformations irréversibles. Au départ, pour compter en peignant, il introduit avec des chiffres en blanc sur un fond noir, un contraste bien visible, une claire inhomogénéité sur la surface. Il efface lui-même cette inhomogénéité au fil du temps par ajout progressif de blanc dans le noir. Et ainsi, évidemment sans chercher, ni reconnaitre cette proximité, probablement sans la voir, sa représentation rencontre la description scientifique des évolutions irréversibles. Comme s’il mélangeait les chiffres avec le fond. Tout devient blanc. Étonnant.

Les photos, l’irréversibilité et la vie

Chaque jour, Roman Opalka se photographiait. Il cherchait autant que possible des conditions identiques pour que son vieillissement apparaisse sans être parasité par des changements d’éclairage, de lumière, d’angle de prise de vue. (Roman Opałka by Lothar  Wolleh. //en.wikipedia.org/wiki/Lothar_Wolleh) Associées aux tableaux, ces photos viennent lier le temps généré par les nombres peints, aux journées qui passent, au lent mais bien réel et inévitable vieillissement continu. […]

Le deuxième principe de la thermodynamique

D’après Wikipédia :

  • Toute transformation d’un système thermodynamique s’effectue avec augmentation de l’entropie globale incluant l’entropie du système et du milieu extérieur. On dit alors qu’il y a création d’entropie

[…]

Remarques

  • L’entropie d’un système isole ne peut qu’augmenter ou rester constante puisqu’il n’y a pas d’échange de chaleur avec le milieu extérieur.
  • L’entropie d’un système peut diminuer mais cela signifie que l’entropie du milieu extérieur augmente de facon plus importante ; le bilan entropique etant positif, ou nul si la transformation est réversible
  • Le deuxième principe est un principe d’évolution qui stipule que toute transformation réelle s’effectue avec création d’entropie. [ceci élimine l’évolution en sens inverse ou l’entropie diminuerait, il y a irréversibilité de l’évolution]

J’ajoute cette remarque, très importante, que curieusement Wikipédia ne fait pas : Un système isolé évolue jusqu’à atteindre un état d’équilibre où son entropie est maximum.

Le mot entropie ne doit pas faire peur comme on va le voir. Le parallèle avec l’œuvre

d’Opalka est immédiat. La quantité de blanc contenu dans un tableau, qui affaiblit le

contraste entre les chiffres et le fond du tableau, définit son entropie” (l’entropie d’Opalka !). Elle ne fait qu’augmenter d’un tableau à l’autre, jusqu’à un maximum qui

correspond à la saturation à la peinture blanche du tableau, où on ne distingue plus aucun signe. A ce stade, il ne peut plus évoluer. Plus blanc que blanc n’existe pas chez Opalka ! Quantitativement les nombres inscrits sur le tableau mesurent son entropie interne (en l’encadrant avec une grande marge d’erreur). “L’entropie d’Opalka” respecte tous les axiomes de l’entropie thermodynamique.

En thermodynamique l’équilibre c’est la mort (F. Roddier)

L’œuvre Opalka 1965 1 – infini évolue dans le sens prévu par le 2ème principe, vers un état dit d’équilibreoù son entropie est maximum. La thermodynamique définit l’équilibre d’un système comme un état homogène où il n’évolue plus. Les variables caractérisant son état, sont constantes et égales en tout point. Un gaz à équilibre est immobile, a toujours la même pression et la même température partout et le même volume. Tous les pixels du dernier tableau d’Opalka ont même couleur, le blanc et pour toujours. A la mort de Roman Opalka, l’entropie de son dernier tableau a atteint sa valeur maximale : 5607249. Elle n’augmentera plus. Comme le peintre, le tableau lui aussi est “mort”.

C’est l’énergie qui crée le déséquilibre, le déséquilibre c’est la vie

Un système capable d’évoluer est dit hors équilibre. Prigogine prix Nobel de chimie 1972, s’est beaucoup intéressé aux systèmes hors équilibre. Il a montré que des systèmes, recevant un flux permanent d’énergie, étaient capables de la dissiper plus vite qu’ils ne la reçoivent, si bien qu’ils diminuent leur entropie interne. On dit qu’ils s’auto organisent car ils contiennent des structures ordonnéesen mouvement, auxquelles Prigogine a donné le nom de structures dissipatives. Si on coupe l’arrivée d’énergie, ces structures disparaissent, elles ne tiennent que grâce au flux d’énergie qui les traverse. Ces systèmes dits dissipatifs sont nombreux dans la nature : les êtres vivants sont des systèmes dissipatifs, les cyclones aussi, tout comme les courants marins. Privés d’énergie, tous évolueraient inéluctablement vers leur état d’équilibre ultime, comme expliqué plus haut…

Le plus beau système dissipatif auto organisé est la Terre. Grâce à l’énergie solaire qu’elle reçoit, elle a permis le développement de la vie (c’est ce que dit François Roddier) et de toute la biosphère, magnifique organisation naturelle d’une beauté et d’une richesse extraordinaire. Arrêtons de la détruire !

L’économie aussi est un système dissipatif (un peu trop même). On voit bien aujourd’hui ce qui se passe quand elle n’arrive plus à s’alimenter en énergie aussi facilement qu’avant. Des pénuries surgissent, l’inflation s’installe. La physique est impitoyable !

Daniel Beaucourt, janvier 2023

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