Je viens de finir le dernier roman de Michel Houellebecq, Anéantir. Comme à son habitude, il s’exprime sur notre société, cette fois-ci en donnant son opinion sur les dirigeants politiques, qu’il exprime sur un ton ironique mais sans complaisance. Ces références à l’actualité n’ont pas beaucoup de rapport avec le sujet du livre, ce qui me permet d’en parler sans risquer de « spoiler » le roman.
L’action se passe en 2027, juste avant les élections présidentielles. Houellebecq fait l’hypothèse que le président sortant qu’il ne nomme jamais, termine son deuxième quinquennat. C’est une hypothèse autant qu’une prédiction puisque le roman, sorti début 2022 a été écrit avant les présidentielles de cette année 2022.
Voici un premier extrait (page 43), l’auteur fait une sorte de bilan du président sortant.
» Ce dernier [le président] avait en effet délaissé les fantasmes de start-up nation qui avaient fait sa première élection [2017], mais n’avaient objectivement conduit qu’à produire quelques emplois précaires et sous-payés, à la limite de l’esclavagisme, au sein de multinationales incontrôlables. Retrouvant les charmes de l’économie dirigée à la française, il n’avait pas hésité à proclamer […] aujourd’hui [2022] commencent les nouvelles Trente Glorieuses ! »
On reconnaît là une critique sans complaisance de l’uberisation de certains services, qui tombe à pic avec la sortie des uber files (juillet 2022), selon lesquels Emmanuel Macron en aurait trop fait (en tout cas beaucoup) lors de l’implantation de la société Uber en France. Cinq ans après la start-up nation, le candidat président opère un virage à 180° vers l’économie dirigée et la planification à la mode Gaullienne. L’objectif reste le même, conquérir ou garder le pouvoir, en déclamant les « bons » slogans au bon moment, même s’ils se contredisent.
Le deuxième extrait (page 601) concerne les réflexions du ministre de l’économie rénommé Bruno (!) qui sort d’une réunion avec le président, au cours de laquelle celui-ci a rendu son arbitrage en défaveur du ministre et choisi de fermer une dizaine de centrales nucléaires.
Le narrateur exprime l’amertume de Bruno :
» […] surtout il [le ministre] trouvait absurde de se priver du nucléaire, c’était un point sur lequel il n’avait jamais varié. Pouvait-on citer un point sur lequel les convictions du président n’avaient jamais varié ?
[…] Au fond, le président a une conviction politique et une seule. Elle est la même que celle de tous ses prédécesseurs […] Je suis fait pour être président de la république […] «
Ces réflexions expriment une certaine déception, peut-être une soudaine et froide clairvoyance du ministre ( ou Houellebecq ?) sur le comportement du président…
Cet extrait formule deux reproches.
Le premier c’est l’inconstance des dirigeants politiques dont les convictions (ils n’en ont qu’une, être élu ou réélu), en tout cas les paroles et les actes, varient selon leurs chances de se maintenir au pouvoir, ce qui les conduit à changer d’avis et à prendre des décisions démagogiques, stupides, lourdes de conséquences négatives. Et jamais sanctionnées…
Le second, c’est l’abandon du nucléaire auquel le personnage de Houellebecq, le ministre prénommé Bruno tient visiblement, abandon stupidement justifié selon lui, par le gain dérisoire d’une poignée de voix des écologistes que Bruno (Houellebecq ?) tient en piètre estime (« de dangereux imbéciles »).
Le nucléaire semble tout particulièrement inciter aux changements d’avis. Souvenons-nous : en 2018, le président Macron confirme dans un discours (visible sur YouTube) sa décision de fermer une dizaine de centrales nucléaires. Plus récemment, lors d’un voyage à Belfort, il a visiblement changé d’avis puisqu’il annonce sa volonté de relancer le nucléaire avec la construction de 6 nouveaux EPR. Plus récemment encore, avec la crise du gaz consécutive à la guerre en Ukraine, il s’engage à ce qu’aucune centrale nucléaire en bon état de marche ne soit fermée. Or on devait limiter le nucléaire à 50% de notre mix électrique… changement de stratégie ?
Mon commentaire :
- Les dirigeants politiques se croient prédestinés à l’exercice du pouvoir, comme les rois… Ego surdimensionné ? Volonté de puissance ? Pour le reste ils pensent comme Edgar Faure accusé en 1968 de changer d’avis comme une girouette : « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent « . Opportunisme ? Calcul ? Pragmatisme ? A vous de voir…
- Ceux qui militent pour mettre fin au nucléaire, et plus grave, ceux qui décident de fermer des centrales, ne disent jamais par quoi ils prétendent les remplacer, MWh par MWh, et sans coupure. Ont-ils une solution crédible ? Laquelle ? S’ils n’en ont pas, alors ce sont de dangereux irresponsables.
Mais le dernier roman de Houellebecq, Anéantir, parle de tout autre chose. Lisez-le !
Daniel Beaucourt, juillet 2022
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Encore une fois merci à Daniel Beaucourt pour ses articles, déjà plus de 10, qui je crois se veulent informatifs et didactiques. Comme il recommande la lecture du dernier roman Anéantir de Michel Houellebecq que j’ai lu aussi avec beaucoup d’intérêt, je recommande la lecture de ses articles. Encore une fois il nous invite à réfléchir sur cette lutte contre le réchauffement climatique qui inquiète tout le monde et sur la gestion de l’énergie et de ses sources, sujets étroitement associés : les données du problème, les limites des actions possibles, avec des éléments de physique avec ses lois qu’il est difficile d’ignorer. Il me semble que face à ce changement climatique que plus grand monde n’ose plus nier, on entend beaucoup de discours allant du catastrophisme qui se vend bien à la description du monde idéal, à atteindre, où on le maitriserait avec en particulier la décarbonation de notre monde et ses activités, il me semble que là où le bat blesse, c’est sur la chemin entre les deux. Je ne veux pas détailler ce que le présent article expose de façon, me semble-t-il, claire : par exemple les positions dogmatiques ou idéologiques qui conduisent à des choix qu’on est amené à regretter, avec l’impression d’avoir mis la charrue devant les boeufs quand on se prive d’une énergie sans s’être assuré de la viabilité en disponibilité de nouvelles sources.
Mais je ne veux pas être pessimiste, à cette rentrée, je crois, le discours et le débat changent, on pourrait même trouver passionnant le défi à relever ?
Enfin, je suis interpelé par le répétitif « on n’a rien fait », et pourtant on s’en est fixé des objectifs et on continue, chemin et modalités pour les atteindre montrent simplement leurs limites, croyons peut-être à cette sobriété appelée depuis longtemps.
Merci beaucoup Monsieur Piroard !
C’est important pour moi de savoir ce que les lecteurs pensent de mes articles. Je les écris car je trouve qu’en général les journaux traitent les sujets scientifiques comme l’énergie ou l’écologie (pour moi c’est une science) de façon superficielle ou sensationnelle.
D’autres articles vont suivre. J’aimerais annoncer de bonnes nouvelles mais l’actualité ne s’y prête guère.
Cordialement D. Beaucourt