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Un Fontenaisien a trouvé une nouvelle façon de faire de la politique et une forme de démocratie participative

Quadra fontenaisien, informaticien effervescent, Grégory Isabelli crée en 2010 un site de jeux en ligne BGA (Board Game Arena). Avec Emmanuel Colin, une amitié nouée à Supélec, la startup rencontre vite le succès. En 2021, ils la vendent très bien. Je n’ai pas demandé combien, on n’est pas aux États-Unis, mais assez pour permettre un nouveau projet. Une idée lui tient à cœur depuis longtemps. Elle est politique, plus exactement, utiliser son expérience de gaming dans la politique. La politique serait-elle donc pour un jeu ? Absolument pas. Du gaming, il retient la souplesse des interfaces et la profusion d’échanges que les applis permettent. « Je suis un informaticien, dit-il, qui veut apporter de nouvelles formes d’interactions sociales. »

BGA, il a commencé à le programmer dans le RER pendant ses trajets au boulot. Puis, il a vécu la croissance extraordinaire du site, son rachat par Asmodée, leader du jeu de société en France, et une intégration dans le management de cette grande entreprise. Après trois ans, il passe à autre chose (enfin presque). Le codage est une deuxième nature. Il tente une nouvelle chance. Il ne semble pas craindre l’avenir, ni pour lui ni pour sa famille. Il est vrai que le jour où les Supélec commenceront à s’en faire, il faudra faire les valises.

Baztille, prise en main

Il voudrait « donner aux gens la possibilité d’exprimer et d’agir, surtout d’agir sur les décisions politiques. » Quel rapport avec les jeux en ligne ? Aucun dans les finalités. Pour les interfaces, il imagine une facilité d’expression et de décision qui changerait le rapport au politique. Pour faire « ce qui ne serait pas possible sans numérique. »

Chacun peut proposer un sujet pour lequel une décision est à prendre. Puis proposer une solution. Si, par exemple, on s’intéresse à « La réponse de la France et de l’UE aux nouveaux droits de douanes des USA » (thème possible et dont l’énoncé peut être améliorer), des solutions peuvent être :
– Favoriser le commerce intra-européen
– Augmenter les droits de douanes sur les produits américains
– Réduire les taxes sur les produits fabriqués et consommés en France
– Négocier de nouvelles conditions commerciales avec les USA

Pur exemple. Ces solutions sont proposées les membres de la communauté et non par une instance. Plus, à chaque solution sont associés trois avantages et trois inconvénients pour éclairer les impacts. Sur ces bases, on exprime sa préférence pour une des solutions et celle qui recueille le maximum de voix est défendue par la communauté (jusqu’à décision inverse).

Chez Grégory Isabelli, une idée fait sens si elle se constate. En 2023, il commence à développer son appli. Elle est aujourd’hui en test, s’appelle Baztille. Elle est accessible en ligne. Le site baztille.org la présente comme une initiative démocratique participative qui permet « de proposer, débattre et voter directement sur des questions politiques. Les citoyens peuvent soumettre des questions ou propositions. La communauté sélectionne les questions les plus pertinentes. »

Si Baztille n’est pas un parti politique traditionnel, il relève d’un parti puisqu’il se veut influencer les décisions publiques. En même temps, il s’en distingue par « l’absence d’une idéologie politique prédéfinie (gauche/droite/centre), et par son focus sur le processus démocratique lui-même plutôt que sur un programme politique spécifique. »

Serait-il fourre-tout ? Aux yeux de son créateur, non. Les adhérents proposent des sujets sur une base régulière qui dépend du contexte (hebdomadaire, mensuelle…). Les sujets sont retenus par approbation majoritaire (on « like »). On recommence, mais sur des propositions de mise en œuvre. On exprime son choix sur les propositions (on « rerelike » ou on vote).

Dans ce parti, les élus, les représentants ne sont pas des initiateurs de programme, mais les avocats des propositions ayant recueilli le maximum de soutiens. Leur mission en est la défense scrupuleuse. Ils sont éclairés au sens où ils savent anticiper les difficultés de réalisation.

L’appli n’est donc pas un instrument de sondages, lesquels ne sont liés à aucun engagement. A la différence des votations suisses, on n’est pas dans le oui/non. Grégory Isabelli reprend dans un contexte radicalement différent les méthodes de « gamification » qu’il connaît par cœur. Interfaces simples. Gains en points pour valoriser une action qui bénéficie au mouvement (un don, un collage d’affiches, un tractage…). On est dans la logique des avis Google Maps.

Déjouer les idéologies ?

Pour lui, l’expression sur des sujets élémentaires, concrets, évite les affrontements « idéologiques » qui empêchent les convergences. Son appli, Baztille, devient un opérateur essentiel. « Elle articule le politique et le logiciel. » Son usage qui relève du jeu permet des décisions multiples et précises. Il y a là un implicite considérable dont on parlera plus loin.

Il insiste : les propositions sont élaborées de façon collective et non par la décision de quelques-uns. Ainsi, ce n’est pas une suite de sondages. Tout ceci doit se tenir sur une structure politique qui s’engage à mettre en œuvre. Il y voit une nouvelle forme de parti.

Gamification encore dans le modèle de diffusion qu’il espère. « J’ai voté, je dis à mes potes de voter. J’ai intérêt à convaincre. » Il espère un effet boule de neige du genre réseau social. Mais, plus politiquement, il attend beaucoup du suivi des décisions. Ont-elles bien été prises en compte par l’élu, le responsable ? L’historique doit être accessible à tous.

Grégory Isabelli voit dans ce système d’information un levier de prise de conscience. Avec l’assurance que la participation au vote a des conséquences, le niveau de responsabilité montera chez les électeurs. Les risques majeurs existent quand « les gens sont portés par une idéologie. Les gens conscients des conséquences vont s’informer. Ils s’intéresseront au pourquoi. »

Produire du désirable

D’autant qu’il considère les scrutins actuels biaisés par le désintérêt de la politique. « Les gens ont l’impression que ça ne sert à rien. Que les sujets abordés ne sont pas les bons et que les vrais problèmes sont laissés de côté. Que leurs positions n’ont aucun impact. »

« On veut embarquer les gens dans la démocratie participative, mais la défiance fait que ça ne marche pas. » Comment dépasser ces négativités ? Laisser entrevoir « un avenir désirable. »

Pour lui, « c’est toujours les mêmes qui s’expriment dans les instances de démocratie participative, les 1% environ qui ont le temps, tandis 99% n’ont pas le temps. » Que voudrait-il pour son appli ? Qu’elle supprime ce manque de temps. Celui des interactions nécessaires à la décision sur des points précis. Qu’elle déjoue les postures idéologiques qui interdisent aux partis de s’entendre même ponctuellement.

Il a sa logique. Les partis politiques sont conçus pour gagner les élections et tout doit aller dans ce sens. Or, par nature le débat interne divise. C’est pourquoi il est réduit à sa plus simple expression, sauf à soutenir un représentant du parti qui… le représentera à la prochaine élection. Lui voudrait que soit choisi celui qui défendra le plus strictement les positions élaborées au fur et à mesure de son mandat.

Dépasser les idéologies

Chez Grégory Isabelli, l’idéologie fait obstruction à l’entente. Son espoir de dépasser cet écueil s’appuie sur une hypothèse très forte : on s’affranchit de l’idéologie par décomposition en éléments simples.

Or les idéologies sont des cadres de référence globalisant qui se retrouve la réalité. En politique, on trouve des modèles de société (le libéralisme, le conservatisme, le socialisme, la dictature). En économie, des systèmes de production, de distribution des richesses, des politiques de régulation ou de dérégulation. En éducation, ce sera la transmission des valeurs, la place des élèves et des professeurs, les normes qui régissent les rapports interpersonnels. Et bien sûr, les religions relèvent de l’idéologie dans la mesure où elles proposent des lectures complètes du monde et des valeurs.

Pour Grégory Isabelli, « les idéologies sont irréconciliables. » Et l’irréconciliable est une conséquence des positions idéologiques et de leur globalisation qui les fige. Comment dans ces conditions donner corps à son espoir de « ne plus voter pour des idéologues, mais pour des compétences » capables de défendre les positions choisies ?

Ici est son pari. Son hypothèse fondamentale : en fractionnant le global qui oppose en propositions simples et décidables ; surtout, en permettant à tous de proposer, on peut contourner l’attraction idéologique. Exemple. « Actuellement, explique-t-il, avec une assemblée générale (et une opinion française) fractionnée en trois, il semble impossible de former un gouvernement. Or si on se place dans le cadre de questions données, on obtient des majorités. Par exemple :
– La gauche et le RN soutiennent le retour de l’ISF.
– La gauche et Ensemble soutiennent la loi sur la fin de vie.
– Ensemble et le RN soutiennent le renforcement des contrôles aux frontières.
 »

Décider avant tout

Deuxième hypothèse : les débats d’idées se déroulent sans cesse dans les médias sociaux, la presse papier ou numérique, les radios, les télés. Ce n’est pas leur manque qui détourne de la démocratie, c’est leurs « in-conséquences », l’absence de résultat.

Sous ces hypothèses, « des compétences en affaires publiques » pourraient traiter, détailler, débattre des points élaborés en commun. Des compétences robots ? Non, car pour Grégory Isabelli, les échanges avec les oppositions, l’alignement avec les lois ne se contenteraient pas de machines.

Avec son rêve devenu réalité, la vie politique retrouverait son attrait en redonnant du poids aux votes. On aurait un mécanisme d’élaboration continue et de sélection d’élus. Techniquement l’appli en serait l’instrument. Structurellement, on aurait une nouvelle sorte de parti. (À moins qu’il ne soit un outil au service de partis voire d’organisations diverses).

He had a dream

Concrètement qu’imagine-t-il ? Retour à l’informatique, son rayon d’action. Si son appli prend, elle passera en Open source pour entraîner des développeurs, des juristes. Il imagine une gouvernance du type Wikipédia. Une première version pour Android sortira très prochainement et une version pour iPhone d’ici la fin de l’année. D’ici deux ans, il veut savoir si son expérience BGA fait sens quand elle est appliquée à un domaine si différent que le jeu.

Quand on voit comment les usages se sont transformés, comment le smartphone (la « petite poucette » disait Michel Serres) prend une place ascendante dans les relations de toutes espèces, on hésite à se faire une opinion sur le destin de son rêve. A vous d’en juger et d’aller sur baztille.org si l’aventure vous tente.

Maurice Zytnicki

Source : Baztille, ou le jeu comme moyen du politique


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