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Inflation, réforme des retraites et 49.3

Paul Jorion : Inflation = piège à cons

Une inflation alimentaire à deux chiffres

A la date d’août 2022, la revue Que choisir évalue l’inflation annuelle à 6,3% (par rapport à aout 2021). Ce chiffre est une moyenne qui cache de nombreuses disparités :

  • Achats en grande surface + 9,2 %
  • Gaz + 22 %
  • Gazole + 25 %
  • Fioul + 67 %

Depuis, l’inflation s’est maintenue voire aggravée. En février 2023 Que Choisir l’évalue à 7,7 %, l’INSEE à 6,2 %. Les plus fortes augmentations concernent :

  • Achats en grande surface + 16 %
  • Gaz + 15 %
  • Gazole + 12 %
  • Fioul + 19 %
  • Electricité + 24 %

Un exemple : La baguette de pain (tradition) que j’achète à ma boulangerie fontenaysienne préférée est passée petit à petit de 1 €, à 1,10 €, puis 1,20 € et à présent 1,30 € soit 30 % d’augmentation. On nous dit que c’est à cause de l’augmentation des prix de l’électricité et des matières premières (farine) deux produits de première nécessité, qui tout-à-coup deviennent rares et chers. On ne peut que s’en étonner et s’en inquiéter.

L’inflation alimentaire semble en effet désormais bien installée. Que Choisir l’évalue en mars 2023 à 19 % par an, le gouvernement à 14,8 % mais trois chiffres significatifs me paraissent bien suspects pour un panier de produits qui ne correspond à aucun consommateur réel ! Bref, nous sommes bel et bien confrontés à une inflation à 2 chiffres.

On voit en particulier que :

  • l’alimentation est de plus en plus chère
  • Même chose pour l’énergie. Y aurait-il une relation de cause à effet entre les deux ? La réponse est oui.

L’économie manque d’énergie…

Pour bien comprendre en quoi l’énergie tient une place fondamentale dans le fonctionnement de l’économie et donc dans le déclenchement de l’inflation quand elle vient à manquer, il faut se référer à l’analyse de l’économie par les physiciens. Plusieurs d’entre eux s’y sont intéressés et l’ont fait de la même façon qu’ils ont traité le problème de la chute des corps, de la gravitation universelle, ou de la structure de la matière : avec toute la rigueur scientifique qui les caractérise.

Voici quelques citations qu’ils ont laissées dans l’histoire (tirées de la présentation de F. Roddier référencée plus loin).

” La thermodynamique et la biologie sont les flambeaux indispensables pour éclairer le processus économique ” 1971 – Nicholas Georges-Roegen (1906-1994)

  • ” La lutte pour la vie est une lutte pour dissiper l’énergie ” 1905 – Ludwig Boltzmann (1844-1906)
  • ” La sélection naturelle favorise l’organisme qui dissipe le plus vite l’énergie ” 1922 – Alfred Lotka (1880-1949)
  • ” Le bien-être des individus se mesure en terme de flux d’énergie dissipée par les individus dans une société ” 1926 – Frederik Soddy (1877-1956)

On peut généraliser les principes de la thermodynamique à l’économie ” 2015 – François Roddier (1936 – ), astrophysicien, dans sa conférence La thermodynamique des transitions économiques, donnée aux ateliers du Shift Project. Vidéo disponible sur Youtube, diapositives consultables sur le site slideshare.net

Pour F. Roddier, l’économie est un système thermodynamique traversé par un flux permanent d’énergie qu’il doit dissiper. C’est ce qu’on appelle un système dissipatif (voir mon dernier article sur le peintre Opalka). Un tel système n’est pas dans un état d’équilibre (état où rien ne bouge !), mais s’auto organise de façon dynamique, grâce à l’énergie qu’il reçoit. En la dissipant il diminue son entropie interne en en rejetant une partie dans l’environnement. Le PIB d’une société est une mesure du taux de sa production d’entropie (F. Roddier Thermodynamique de l’évolution, édition parole).

Un système économique est donc un système dissipatif qui exploite l’énergie qu’il prélève dans l’environnement, et la transforme en entropie, l’entropie désignant ici les biens produits, le fameux PIB. Sans énergie, il n’y a pas de biens produits, ceux-ci ne sont que de la matière transformée. Maxence Cordiez définit l’énergie comme ce qui permet la transformation de la matière (Energies, fake or not ? Editions Tana). Or toute économie ne fait que transformer des ressources naturelles en autre chose. C’est pourquoi, elle a tant besoin d’énergie.

Lorsque l’énergie vient à manquer et que son prix augmente, le système économique produit des biens plus chers et moins abondants, il maigrit comme un être vivant (autre système dissipatif) qui ne mange pas à sa faim. C’est bien ce qui se passe en Europe ces temps-ci : plus de gaz russe bon marché, mais du gaz américain (notamment) bien plus cher, et cela dans un contexte mondial de déplétion des énergies fossiles, de baisse de la quantité d’énergie fossile disponible par personne, de la nécessite d’importer cette énergie fossile, de croissance trop faible des énergies renouvelables par ailleurs intermittentes. A cette liste, il faut ajouter les “tracas” de nos centrales nucléaires, consécutifs à la politique énergétique désastreuse de nos gouvernants depuis plus de 20 ans (cf. le rapport sur la perte de notre souveraineté énergétique, disponible sur le site de l’Assemblée Nationale)

En résumé :

  • Energie plus chère = produits plus chers = inflation
  • Moins d’énergie = moins de produits = décroissanc

F. Roddier dit que l’inflation n’est que de la création d’encore plus d’entropie… L’image est celle d’un moteur qui peine (car sous alimenté), et qui chauffe. Son rendement baisse. Il n’arrive plus à fournir la force de traction attendue, il ne produit que de l’entropie (de la chaleur)… C’est la dure loi de la physique, la physique est impitoyable !

Monnaie unique et manipulations monétaires produisent des effets négatifs

Une des fonctions fondamentales de la monnaie est de fluidifier les échanges (de produits, donc d’énergie) au sein de la société. Mais pour F. Roddier, ça ne marche qu’avec au moins deux monnaies différentes… L’explication vient de la physique : il énonce le deuxième principe de la thermodynamique appliqué à l’économie, comme suit :

Deuxième principe

Une économie ne peut pas fonctionner durablement sans l’usage d’au moins deux monnaies différentes (cf.slideshare)

Une seule monnaie =

  • une seule température (température d’une économie = inverse du prix de l’énergie)
  • pas de cycle de Carnot
  • l’énergie ne se dissipe pas
  • la monnaie stagne (réflexe du bas de laine, placements bancaires ou immobiliers

Résultat : les inégalités de richesse de cessent d’augmenter. L’économie ne fonctionne plus

C’est ce qui se passe dans l’Union Européenne, où l’Euro, monnaie unique de l’UE, a remplacé les anciennes monnaies nationales, et où les salaires (en tout cas les plus bas qui sont aussi les plus nombreux) stagnent depuis plusieurs années (freinant la consommation donc la dissipation de l’énergie…). Les augmentations récentes, loin d’être générales ne compensent pas l’inflation. Les inégalités entre pays se sont accrues, l’Allemagne accumule excédents sur excédents, les pays du sud déficits sur déficits (l’énergie ne se dissipe pas…). L’Euro est trop fort pour certains pays, pas assez pour d’autres. Parmi les symptômes d’une économie détraquée, il y a l’inflation, nous y sommes, le chômage, on n’en est pas sorti (malgré la sortie des papy boomers du marché du travail), l’accroissement des inégalités, l’appauvrissement de la population, des troubles sociaux, etc.

Il y a aussi les manipulations monétaires des banques centrales qui modifient à leur guise, les taux directeurs à la baisse ou à la hausse, ce qui modifie la quantité de monnaie en circulation. Une baisse des taux l’augmente et crée de l’inflation, une hausse la diminue, et freine l’économie (fort risque de récession) sans garantie de baisse de l’inflation.

Pour éviter ces travers, F. Roddier propose d’indexer l’Euro sur l’énergie. Un Euro serait  donc équivalent à une quantité donnée, fixe d’énergie. A méditer…  Et quand la Fed (la banque centrale américaine) augmente ses taux, le dollar monte, l’Euro baisse et toutes nos importations en $ nous coûtent plus cher, surtout l’énergie, pétrole et gaz.

Le 16 mars 2023 P. Jorion (connu pour avoir prévu la crise financière de 2008) résume magnifiquement la situation dans son blog (pauljorion.com) :

  • pandémie ==> difficultés d’approvisionnement
  • difficultés d’approvisionnement ==> hausse des prix des produits = inflation
  • inflation ==> hausse des taux par les banques centrales
  • hausse des taux = dépréciation des obligations = krach obligataire

Il suffit de remplacer pandémie par énergie plus chère ou plus rare.

Pour en savoir plus, je recommande la lecture de son post du 25 mars 2023 où il donne son interprétation du recours au 49.3, par le gouvernement, pour faire passer sa réforme des retraites. Il y affirme en lettres rouges sur fond blanc : “inflation = piège à cons“… l’inflation justifiant la hausse des taux (il faut bien sauver le rendement du capital pour sauver les rentiers), le krach obligataire qui en résulte justifiant à son tour le détricotage systématique des acquis sociaux existants : il faut reculer l’âge de la retraite, en recourant au 49.3 si nécessaire…

La concurrence a changé de camp, les prix montent…

La concurrence ne se fait pas toujours entre fournisseurs et ne fait pas toujours baisser les prix. Dans un monde fait de fournisseurs et de consommateurs, le camp qui a la ressource la plus convoitée, a l’avantage. Les autres se battent pour l’avoir…

Dans une situation d’offre abondante, typique de notre société de consommation, la concurrence joue entre fournisseurs. L‘argent des consommateurs (je suppose qu’il existe, mais d’où vient-il ?) est la ressource convoitée par ces derniers. Le consommateur (solvable) a l’avantage car il a le choix entre de multiples produits standardisés et interchangeables, que les fournisseurs, qui se battent entre eux, ne demandent qu’à lui céder à grands renforts de publicité et de ristournes sur les prix. Notons que cette situation n’est pas à l’avantage du travailleur salarié français ou européen (par ailleurs aussi consommateur !) car la pression à la baisse qui s’exerce sur les prix, s’exerce aussi sur son salaire… Une spirale infernale s’engage…

Quand l’offre de biens indispensables se fait moins abondante ou coûte plus cher à produire, la concurrence change de camp. C’est entre consommateurs qu’elle sévit. C’est le cas en ce moment dans l’alimentaire. Les consommateurs que nous sommes, ont besoin de manger pour vivre. Nous n’avons pas d’autre choix que d’acheter des produits d’alimentation de plus en plus chers (entre autres à cause du renchérissement de l’énergie nécessaire à leur production et à leur transport), car notre organisme en a besoin et il n’y a pas de produit de substitution. Nous nous trouvons en situation de dépendance vis-à-vis des fournisseurs, et de compétition avec les autres consommateurs. Si une pénurie menace nous faisons des stocks pour éviter de manquer ou de payer encore plus cher un peu plus tard. On le voit, quand la concurrence se fait entre consommateurs, qu’elle soit ou pas, libre et non faussée, elle fait monter les prix… Cette augmentation s’appelle inflation. Fournisseurs et spéculateurs en profitent, et entretiennent, voire attisent le feu de l’inflation… Je ne sais pas si les producteurs (les paysans) en profitent vraiment, j’ai des doutes. Enfin dernière remarque : utiliser les terres agricoles pour produire de plus en plus de “carburant vert” me semble être l’annonce de famines futures…

La dangereuse idéologie économique de l’Union Européenne

Depuis longtemps, l’Union Européenne nous traite en simples consommateurs (cf. Mastricht et Lisbonne), et prétend nous défendre en imposant le dogme de la concurrence libre et non faussée dans toute l’UE. Dans mon précédent article de janvier 2023 sur le peintre Opalka, j’ai expliqué qu’en physique (donc dans la réalité), l’équilibre c’est la mort (état irréversible d’un système qui n’évolue plus). Or la politique de l’Union Européenne vise à atteindre l’équilibre général de l’économie (au sens de l’économiste Walras), en imposant partout une concurrence libre et non faussée. Voici ce qu’en dit F. Roddier dans ses transparents (cf. slideshare) :

L’économie est un système dissipatif qui reçoit en permanence de l’énergie, et diminue son entropie interne. L’économie est forcément hors équilibre. Sinon elle s’effondre.

“Une théorie économique qui recherche un équilibre général ne peut donc décrire qu’une société qui recherche la mort.”

Appliquée depuis trop d’années, cette politique fatale ne pouvait qu’affaiblir les industriels (qui produisent des richesses) et surtout leurs salariés, jugés trop chers. La politique de prix bas, apparemment pour favoriser le consommateur, a conduit non seulement à des salaires bas, faisant paradoxalement baisser la consommation (l’énergie ne se dissipe pas…), mais aussi à la délocalisation de nos industries vers des pays pauvres, quand on n’a pas importé directement et massivement des produits bon marché de ces mêmes pays, au nom de la protection du consommateur européen et du libre-échange. La Commission Européenne s’est même opposée à la constitution de groupes industriels européens de taille mondiale, au nom du dogme de la concurrence parfaite… Les GAFAM n’auraient jamais pu voir le jour dans cette UE trop dogmatique. Nous assistons aujourd’hui aux conséquences désastreuses mais prévisibles de cette politique, qui nous rappelle que l’Europe a régulièrement des tendances suicidaires.

Conséquence logique, la France s’est désindustrialisée, est devenue dépendante de l’étranger pour presque tout ce qu’elle consomme y compris des biens vitaux, et s’est lourdement endettée pour conserver le niveau de vie de ses électeurs-consommateurs. Dans cette situation, la moindre étincelle, comme une énergie plus rare donc plus chère (c’est le cas depuis l’automne 2021 bien avant la guerre en Ukraine), ne pouvait que détraquer ce qui reste de notre économie. Et voilà que l’inflation revient, alors que bon nombre d’économistes la croyaient disparue à jamais. L’économie est un système thermodynamique qui obéit aux lois de la physique, et la physique est impitoyable !

Daniel Beaucourt Avril 2023

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