Monsieur Candide : quelles doivent être les relations entre la Ville et les Associations ?
Très grave question.
Comme souvent, le problème vient des aspects financiers : l’Etat, par manque de moyens financiers, confie, aux collectivités publiques locales, des missions quasi-régaliennes sans que ces dernières n’aient les moyens humains ou financiers pour les assumer.
Ainsi, les villes, face à ce problème, sous-traitent elles-mêmes, à des associations, des missions qu’elles n’ont pas les moyens de développer en direct dans le cadre de l’action municipale.
Les chiffres correspondants vont croissant et représenteraient, aujourd’hui en France, de l’ordre de 2 milliards de subventions par an. Ces activités associatives croissent d’autant plus que, avec l’allongement de la durée de vie, il y a une part importante de jeunes retraités qui viennent bénévolement servir leurs concitoyens au travers desdites associations tandis que les besoins sont croissants.
Cette approche pose cependant des problèmes juridiques significatifs de confusion entre municipalités (ou collectivités locales) et associations.
Lorsqu’une subvention est versée à une association, la somme transmise sort du régime de la comptabilité publique puisse qu’une association relève totalement du droit privé ; ainsi, si un juge croit devoir constater l’absence d’autonomie de l’association à l’égard de la collectivité versante, il peut décréter l’aspect fictif de ladite association, requalifier la nature des fonds versés pour exiger l’application des règles de la comptabilité publique et assujettir les bénéficiaires à l’ intervention d’un trésorier-payeur public. En cet exemple, il y aurait eu utilisation de fonds publics sans respect des règles de la comptabilité publique.
Il en va de même si l’on peut considérer que l’association ne dispose pas vraiment d’autonomie à l’égard de la collectivité qui se croit « de tutelle » (concept juridique totalement faux : la notion d’ « association municipale » n’existe absolument pas).
Monsieur Candide : vous avez des exemples du non-respect de cette approche ?
En 2000, dans le cadre de la « Politique de la Ville », les quatre communes de Fontenay, Bagneux, Bourg-La-Reine et Sceaux ont créé en commun deux associations ADIB (Association de Développement Intercommunal des Blagis) et AIB (Association Intercommunal des Blagis).
Contre toute logique juridique, les quatre Villes ont nommé aux instances dirigeantes des élus de leurs propres conseils municipaux comme le soulignait l’article 7.3 des statuts :
La Commission Locale inter-partenaire (CLIP) mentionnée ci-dessus a été considérée, par les quatre villes, comme l’organe directeur des deux associations, une sorte de « Conseil d’Administration ».
Première alerte en Mai 2006 : Le Tribunal de Nanterre condamna des élus dans des opérations de vote de subventions à diverses associations dont l’ADIB.
Insistons sur un point : les élus de Bagneux n’étaient pas plus « coupables » que ceux des trois autres villes co-fondatrices de ces deux associations.
Nous n’avons pas cherché à connaître la suite de ce procès (appel, …).
Monsieur Candide : vous avez des exemples du non-respect de cette approche à Fontenay ?
En Conseil Municipal pendant de longues années, des « représentants » officiels de la mairie furent choisis parmi les élus pour siéger comme administrateurs au Conseil d’Administration de divers organismes ou associations dont les deux susmentionnées. Exemple lors du conseil du 21 Mars 2008 :
Lors des Conseils Municipaux suivants, les élus correspondants votèrent, sans sourciller, les subventions aux associations dont ils étaient administrateurs et la confusion associations/ville était totale.
Disons que le concept de « conflit d’intérêt » n’est apparu que tardivement en France et ne constitue pas la base des réflexions (contrairement aux pays anglo-saxons). A titre d’exemple, le vice-président d’un département peut voter des subventions en Conseil Départemental pour une ville dont il est maire. Les exemples similaires sont sans limites.
Monsieur Candide : revenons à nos deux associations ; comment cela s’est-il fini ?
Le signataire de la présente a été nommé administrateur de l’ADIB par le Conseil Municipal en 2014 mais, au vu de la situation juridique et financière, il a agi pour que les deux associations soient dissoutes par jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre en date du 9 Janvier 2015 (voir Fontenay-Mag de Février 2015 page 10).
Des actions étaient menées en dehors de l’objet des associations, la comptabilité n’était pas tenue correctement, la perte totale cumulée au bilan représentait, en final, de l’ordre de 1.5Millions d’Euros. Ces différents aspects montrent aussi le risque à nommer uniquement des élus « politiques » dont la compétence en contrôle n’est pas suffisante (cette critique pourrait encore s’appliquer aujourd’hui). Il faut que les « politiques » sachent donner des ordres à l’Administration mais qu’ils sachent également contrôler (D’autres secteurs sont concernés).
Dans le jugement concernant nos deux associations, le fait surprenant est que le Tribunal n’ait poursuivi personne au pénal et que les quatre villes n’aient pas été appelées à combler le passif (en clair, à payer les pertes et dettes restantes).
Si le signataire de la présente avait été juge, il aurait condamné tout le monde.
Monsieur Candide : avez-vous d’autres exemples ?
A Fontenay, l’Association CCJL (Centre Culturel et Loisirs de Fontenay) fut dissoute le 24 Septembre 2015 car elle présentait des caractéristiques non totalement conformes à l’orthodoxie. En Novembre 2015, cette association était dissoute par action de la mairie (pourtant juridiquement non directement concernée) et un ETA (Etablissement Territorial à caractère Administratif), dépendant juridiquement de la Ville, était créé après une curieuse approbation des adhérents de l’association CCJL:
Ce qui conduisit le Conseil Municipal à enregistrer cette délibération :
Ce qui n’empêcha pas le Conseil de Mars 2016 de verser une dernière subvention à l’Association CCJL pour régulariser ce qui devait l’être (dont la situation de salariés) :
Monsieur Candide : pouvez-vous nous résumer l’approche en 2020 ?
La Ville a ainsi connu trois dissolutions à chaud d’associations en déconfiture en deux ans, 2014-2015, et, évidemment, pas les plus petites et toutes trois avec des salariés.
En 2015 et, a fortiori, après ces trois sinistres, la Ville s’est engagée sur la bonne voie en coupant les liens officiels qui la reliait à (presque) toutes les associations : plus de représentants officiels de la Ville dans le Conseil de celle-ci ou de celle-là, restructuration ou dissolution des associations à problème.
La Ville a retenu la bonne approche : les associations constituent un « tiers secteur » à l’extérieur de la sphère publique ou de l’univers juridique du marché et des activités économiques. Le monde associatif constitue un monde à part ayant son propre rôle de coproduction des politiques publiques et il ne dépend pas des élus. L’objectif peut se résumer ainsi :
- L’association ne doit pas être pas fictive (et de fait une « filiale » de la Ville).
- L’association doit fonctionner conformément à ses statuts et dans le cadre de son objet statutaire.
- L’association doit disposer d’une autonomie totale par rapport à ses financeurs (autres qu’adhérents). Seule la mission générale peut être débattue avec la Ville pour l’obtention de subventions.
- L’association ne doit pas porter atteinte au jeu des marchés publics (et n’est donc pas un « fournisseur » ou « sous-traitant » de la Ville).
Monsieur Candide : quel est le montant des subventions données par la Ville en 2020 et pour combien d’associations ?
Pour 2020, Fontenay connait 114 associations référencées sur le site de la Ville, chiffre élevé et très sympathique.
Les comptes de la Ville font apparaître une dotation globale de 475.650€ pour 37 associations, avec pour principaux bénéficiaires :
- L’Association Sportive Fontenaisienne : 290.000€ (plus locaux gratuits).
- Le Manège aux Jouets : 85.700€ dont une subvention de fonctionnement de 35.0000€, la prise en charge direct du salaire de la directrice (agent communal) pour 49.000 € et des frais de communication pour 17.000€. … (plus locaux gratuits).
- Le Comité des œuvres sociales des Agents de Fontenay : 30.000€ (plus locaux gratuits).
Monsieur Candide : Malgré les progrès constatés, des questions subsistent : Ces trois associations recevant le plus de subventions sont-elles totalement indépendantes de la mairie ?
Bonne question !
- Le Manège aux Jouets travaille avec un salarié de la Mairie …
- Le Comté des Œuvres Sociales relève de la responsabilité commune des salariés …
La gestion de l’ASF pose question même si ses dirigeants bénévoles sont remarquables :
- Répartition de la dotation entre les sections sportives ou « la Mairie vue par l’ASF » :
La subvention de l’ordre de 290.000€, versée en globalité à l’ASF, est répartie via des mouvements bancaires par la Direction de l’Association entre les différentes sections sportives qui la composent sans que les élus ne soient même informés de cette répartition. En clair, la politique sportive venant en aval de la subvention n’est pas connue au moment du vote, ni a posteriori.
Cette approche de l’ASF va assez loin puisque chaque section possède son propre compte bancaire (une quinzaine au total) dans la banque de son choix comme en témoigne la rédaction de l’article 21 des statuts (mise à jour 3 avril 2021) :
A la différence d’une entreprise, une association ne peut se contenter d’être à jour vis-à-vis de ses créanciers en payant bien ses factures et dettes ; elle doit expliquer de manière claire et intelligible la manière dont elle utilise les fonds qu’elle a à disposition, particulièrement lorsqu’il s’agit de subventions publiques.
Selon les statuts, la Direction de l’ASF et son Assemblée Générale considèrent chaque « section » comme une association distincte, l’article 22 ci-dessous étant significatif sur ce point : « …l’Assemblée Générale qui, si elle prononce la suppression, statue sur leurs éventuels transferts à une nouvelle association ».
En clair, l’ASF serait, a priori, une sorte de holding recevant des fonds et les redistribuant à des sortes de filiales relativement autonomes sans que la Ville qui octroie ces fonds dans le cadre d’objectifs généraux s’inscrivant dans une politique sportive générale, n’en soit même informée.
- L’ASF vu par la Mairie :
Cette répartition des fonds tendrait à témoigner d’une indépendance plus que totale de l’ASF vis-à-vis de la Ville mais le site officiel de la mairie développe une approche inverse indiquant une autonomie non totale :
Lisons : « Le Comité Directeur coordonne l’ensemble des activités des sections et définit les objectifs de développement en lien avec la Municipalité. »
Ce développement en lien avec la Municipalité, s’inscrit dans un cadre contractuel prorogé régulièrement : exemple, Conseil Municipal du 11 Janvier 2016 :
- La politique tarifaire :
L’ASF, association privée comme toute association, développe la politique de tarif qu’elle entend opportune.
Le seul problème qui a longtemps perturbé le maire-adjoint aux Finances et aux Logements-Sociaux (2014-2020) est que l’Association n’a jamais proposé une politique de tarification reprenant la notion de quotient-familial permettant aux enfants les moins favorisés d’avoir accès aux activités de l’ASF.
Dit autrement, on pourrait avoir tendance à penser que la situation géographique de beaucoup des activités sportives développées sur le plateau du Panorama, et la politique tarifaire sans réductions sociales ad-hoc pourraient poser problème aux gens de Scarron ou des Blagis (ou autres logements sociaux) pour eux-mêmes ou leurs enfants.
Les seules réductions de tarif possibles relèvent du Département, de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) … ou de la Ville de Sceaux !
Source : site de la Ville :
Source : site de l’ASF :
Un exemple de tarif (ou cotisation) : le Football : entre 265 et 275€.
U6 à U8 correspond à un âge entre 6 et 8 ans (2015 à 2013)
Pour comparaison, Châtenay-Malabry parait moins chère :
- Le contrôle des comptes et de la situation administrative :
On notera que le rapport complet du CCJL est disponible en ligne sur internet.
Nous n’avons pas trouvé celui de l’ASF.
- Contrôle des investissements par la mairie au profit de l’ASF:
Reprenons ici nos propos relatifs à l’analyse du budget 2021 :
Les 2M€ d’investissements pour le vestiaire du rugby sont-ils nécessaires ? urgents ? Pouvait-on se limiter à moindres frais pour moins de 200 adhérents inscrits à cette section du « ballon-ovale » de l’ASF (Association Sportive Fontenay) ? Ces 2 millions représentent le prix d’une très belle maison à Fontenay alors que le terrain où se construit ce château-vestiaire appartient déjà à la sphère publique car situé sur la Coulée Verte.
Cohérence dans la gestion de la Ville :
On notera l’écart de gestion entre la Ville et l’ASF :
- Par respect des règles publiques en matière de Finances, la Ville n’émet jamais de règlements (chèques, virements, …) : elle demande à la Trésorerie de l’Etat de les émettre pour elle
- L’ASF possède un compte bancaire propre par section.
La Ville alimentant financièrement l’Association, il y quelque chose d’illogique quelque part.
Si le rédacteur de la présente note était resté maire-adjoint aux Finances, il aurait pris ce problème en mains.
Monsieur Candide : pourquoi n’avoir rien fait entre 2014 et 2020 ?
Parce que le problème n’a pas été perçu dès 2014 et que le temps a été occupé à autre chose.
L’objectif de ces remarques relatives aux relations entre l’ASF et les élus, n’est pas de critiquer les deux équipes (l’associative et la municipale) mais de montrer que la situation actuelle, surtout compte tenu de l’importance des 4.000 adhérents associatifs, ne saurait être maintenue telle qu’elle est, sauf à accepter de connaître, un jour, un problème avec ses conséquences … : cessation de paiement, accident mortel, détournement important, plainte, ….
Ou simplement l’arrivée sur le tapis d’un paiement exceptionnel pour un événement tout aussi exceptionnel ; exemple : requalification d’un contrat d’honoraires avec un « vieil » entraineur, avec requalification en CDI (contrat de travail à durée indéterminée) par un tribunal avec effet rétroactif important portant sur les indemnités ou charges sociales de dizaines d’années … et une impossibilité pour l’ASF de payer.
Un exemple à Antony, section football :
Il est vraisemblable que le Club a cru licencier des vacataires … requalifiés par les prud’hommes en salariés en CDI.
Monsieur Candide : quelles conclusions sur ce sujet des associations à Fontenay ?
Je reprendrai d’abord nos propos initiaux ; l’Etat et les collectivités locales sous-traitent à des associations ce qu’ils ne peuvent ou ne veulent traiter en direct ; il y a, dans cette approche, un certain jésuitisme : Les associations sont corsetées dans un cadre juridisme ambiguë se caractérisant, entre autres, par des obligations fortes accouplées à des moyens limités.
Dans ce cadre, pour ce qui concerne Fontenay, la Ville connait une politique très dynamique dans le domaine associatif et y consacre des ressources très significatives.
Des progrès conséquents dans la maîtrise des relations et dans la gestion ont été développés depuis 2014 avec abandon des vieilles liaisons quasi-incestueuses entre mairie et associations (« administrateurs municipaux, membres de droit, …).
Il faut poursuivre en ce sens et, revenir en arrière en recréant des liens qui n’ont pas à exister constituerait une erreur : si la Ville veut « politiquement » contrôler la totalité d’une activité relevant aujourd’hui d’une association, elle doit s’en donner les moyens et transformer l’association en un organisme nouveau avec autre statut juridique comme cela a été fait pour le CCJL passé du statut d’association à EPA, Etablissement public à caractère Administratif (2015-2016). Le processus est lourd et l’esprit change alors car on passe d’une bande de copains à une quasi-administration.
Amicalement à tous les Fontenaisiens et, particulièrement, aux membres des Associations.
Jean-Michel Durand
Maire adjoint aux Finances et Logements-Sociaux 2014-2020
Jean-michel.durand50@orange.fr
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