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Le changement climatique la transition énergétique et notre mode de vie. Partie 8 : Nous vivons dans un monde fini, le renouvelable s’impose, la sobriété aussi

Nous vivons dans un monde fini…

  • Les ressources naturelles que nous exploitons n’existent qu’en quantité finie, un gisement si important soit-il n’est pas infini, à force de prélèvements on l’épuise. Tout ce qui existe sur Terre croit, atteint un pic ou un plateau, décroit puis
  • La croissance éternelle n’existe pas, la croissance verte non plus
  • La Terre n’arrive plus à digérer nos déchets, le climat se dégrade

Nous devons notre niveau de vie actuel à l’abondance d’énergie que nous avons connu avec le charbon au 19éme siècle, et le pétrole au 20éme pendant les trente glorieuses. J’ai expliqué dans mon premier papier que c’est l’énergie qui conditionne la prospérité d’une économie, car toute économie est un système physique qui réagit au flux d’énergie qu’il reçoit. Il faut bien voir que l’énergie a ceci de particulier qu’elle est :

  • Omniprésente : elle intervient dans tous les processus de
  • Non substituable : on peut passer de l’électricité, au fioul, au gaz, c’est toujours de l’énergie, même si toutes ces formes n’ont pas les mêmes avantages. La technologie ne remplace pas l’énergie. “La technologie n’augmente pas les réserves, la technologie vide le puits plus vite” (Jean Laherrere expert pétrolier)

Nous devons avoir en tête, la règle suivante : pas d’énergie, pas de production

Ces deux caractéristiques font qu’une pénurie ou un prix élevé de l’énergie ont rapidement des conséquences lourdes sur la société. Déjà pétrole et gaz se font rares et le climat se détériore. La Commission Européenne pousse à remplacer les anciennes énergies, nucléaire inclus, par des énergies renouvelables (ENR). Mais une question se pose : Substituer le renouvelable aux énergies fossiles, va-t-il ou pas, avoir un impact sur notre niveau de vie ?

Une mesure de l’efficacité d’une source d’énergie, le Taux de Retour Énergétique (TRE)

Prenons l’exemple des abeilles. Certaines abeilles ouvrières ont la charge de nourrir la ruche. Pour cela elles vont butiner les fleurs situées pas trop loin. Si cette distance est trop grande l’abeille risque de mourir d’inanition pendant le vol. En deçà de cette distance le nectar récolté par l’abeille ne lui sert qu’en partie à se nourrir. Elle ne garde pas tout pour elle, mais rapporte le surplus à la ruche. Les apiculteurs ont observé que les abeilles butinent les champs fleuris bien fournis, proches de la ruche, plutôt que d’autres moins “rentables”. Elles maximisent le rapport nectar récolté / nectar autoconsommé. C’est grâce à ce gain, que l’abeille est un insecte social et la ruche une société organisée qui pratique comme nous la division du travail. Il y a des abeilles qui s’occupent à d’autres tâches que la recherche d’énergie, comme la confection de nids ou la défense contre les prédateurs.

Un chercheur américain le Dr Charles A. S. HALL a défini un indicateur similaire mesurant le rendement d’une source d’énergie, le Taux de Retour Energétique (TRE) 

TRE = Quantité totale d’énergie produite par une source donnée / Quantité d’énergie investie pour produire cette énergie

NB : l’énergie doit être mesurée en unités physiques (le Joule) pendant tout le cycle de vie de la source. L’énergie investie comprend l’énergie de fonctionnement et maintenance.

C’est un nombre sans dimension compris en général entre 1 et 100. Plus le TRE est élevé plus la source d’énergie est rentable (généreuse).

  • Le TRE doit être supérieur à 1 pour fournir de l’énergie à la société. Pour survivre, un prédateur ne doit pas dépenser plus d’énergie à capturer une proie qu’elle ne lui en fournira !
  • Un TRE de 100 fournit 100 fois l’énergie (cas du pétrole à son début)

La simplicité de sa définition ne doit pas cacher que c’est un bon indicateur du niveau de développement d’une nation. Les besoins humains demandent tous de l’énergie pour être satisfaits. Certains sont impératifs, se nourrir, se loger, prendre soin de ses enfants, etc. Nous devons les satisfaire avant d’autres, moins vitaux. La figure ci-dessous illustre la hiérarchie des besoins d’une société. Ceux du bas doivent être satisfaits avant ceux du haut. Il faut qu’il reste un surplus suffisant d’énergie (et de ressources), pour passer d’une couche à la couche immédiatement supérieure. Il faut un TRE de plus en plus grand pour satisfaire des besoins de plus en plus sophistiqués. Une énergie abondante ne suffit pas, il faut aussi qu’elle soit d’accès facile (TRE élevé), pour libérer davantage de personnes, des “corvées” alimentaires, ce qui leur permettra de développer d’autres activités..

Fig 1 – Taux de Retour Energétique minimal requis selon activité (d’après Jessica Lambert)

La valeur minimale du TRE permettant le maintien du niveau de vie dans une société comme la nôtre est estimé à 15 contre 1 environ.

La baisse apparemment indolore du TRE et la fable de la grenouille

Du TRE on déduit la part d’énergie nette utilisable par la société, par rapport à l’énergie délivrée par la source. C’est (en %) le surplus d’énergie qui reste, une fois enlevée l’énergie investie. Cette dernière a beau avoir été dépensée longtemps avant, il ne faut pas oublier de la “rendre”.

  • Un TRE de 100 correspond à un pourcentage d’énergie nette de 99%,
  • un TRE de 1, à 0%.
  • L’énergie nette est une sorte de hors taxe, le TTC étant ce que fournit la source, l’énergie investie représentant la “taxe” payée à la Nature

La courbe ci-dessous montre la proportion d’énergie nette récupérée en fonction du TRE de sa source. La partie quasi horizontale montre que la décroissance du TRE ne change guère l’énergie nette disponible, tant qu’il reste supérieur à environ 10. En dessous de 10 on tombe dans la zone rouge…

Exemple.

  • Année n, TRE = En investissant 1 baril, on en récupère 99 nets
  • Année n+1, TRE = Avec 1 baril on en récupère 49 nets. Avec 2, 98 soit presque autant que l’année n. La nature nous demande une “taxe” de 2% au lieu de 1%, ça reste indolore. Même chose avec un TRE de 25, la taxe passe à 4%.

Fig 2 – Énergie nette en fonction du taux de retour énergétique.. Avec le temps on s’approche de la zone rouge

Cette situation est trompeuse, comme l’illustre la fable de la grenouille. Selon cette fable (d’un chercheur américain), pour cuire une grenouille vivante, il ne faut pas la jeter dans une eau trop chaude. Elle s’enfuirait en sautant hors de la casserole. Il faut la placer dans de l’eau froide et chauffer l’eau très lentement. La grenouille reste alors placidement dans la casserole ne se rendant pas compte qu’on est en train de la cuire. Quand elle s’en rend compte, c’est trop tard, elle n’a plus la force de sauter.

Cette fable cruelle (et non réaliste) illustre le danger de ne pas prêter attention aux évolutions lentes de notre environnement. Vient toujours un moment où un seuil est franchi et où la catastrophe arrive. Dès que le TRE s’approche de 10 (zone rouge), voire 12, les choses se gâtent. On ne récupère plus que 90 % de l’énergie brute, puis 80%, puis 50%, puis plus rien du tout.

Or cette situation est en train de se produire. Le TRE des énergies fossiles ne cesse de se dégrader. Le TRE des premiers puits de pétrole s’approchait de 100. Il serait d’environ 20, à ce jour mais le pétrole de schiste américain serait plus proche de 2 ou 3… C’est la loi des rendements décroissants de Ricardo. On exploite d’abord les puits peu profonds et proches des lieux de consommation. Ensuite il faut creuser davantage, s’éloigner, ça coûte de plus en plus cher. Il faut extraire plus de pétrole du puits, pour en fournir autant qu’avant à la société, car l’extraction elle-même en consomme de plus en plus… Ainsi que finances, matériaux, personnel, ce qui dans un monde fini en fait autant de moins pour le reste de la société. Le système économique s’épuise à se nourrir!

Le problème est que les énergies renouvelables ont un TRE encore plus faible que les énergies fossiles qu’elles veulent remplacer… Et si leur TRE a été surévalué on va se retrouver dans la zone rouge où la part d’énergie nette tombe en chute libre. Attention ne nous endormons pas comme la grenouille…

Les énergies renouvelable paraissent rentables car elles bénéficient d’avantages réglementaires exorbitants

Non seulement les ENR ont un faible TRE mais on les présente comme la solution quasi miraculeuse à nos problèmes d’énergie. Il n’y a pas de miracle mais des avantages bien réels donnés par la réglementation française et européenne:

  • La priorité d’accès au réseau. Quelle que soit la quantité de renouvelable produit, le Réseau de Transport de l’Electricité (RTE) l’envoie sur le réseau avant toute énergie électrique venant d’autres Ils doivent céder la place… Leur rentabilité chute, la faillite menace.
  • Un MWh renouvelable généreusement subventionné. Actuellement le prix est garanti pour 20 ans autour de 75€/MWh. Prix très supérieur à celui du marché (environ 40€). Auparavant il était garanti sur 15 ans à un prix encore supérieur. Le total annuel des subventions versé augmente fortement chaque année avec la croissance du parc renouvelable et l’effet cumulatif des années précédentes.
  • la défausse sur les autres producteurs du problème de l’intermittence. quand le vent se calme ou que le soleil se cache, les producteurs de renouvelable attendent des autres producteurs qu’ils fournissent l’énergie manquante grâce à leurs centrales pilotables. Position confortable, qui ne leur coûte pas ..

Autres avantages :

  • La dépendance non avouée du renouvelable aux énergies fossiles qu’il prétend remplacer. Les éoliennes sont fabriquées en brulant des énergies fossiles irremplaçables et moins chères : pour le ciment des fondations, pour l’acier du mât, pour fabriquer les pales, les câbles de cuivre, etc. Le transport sur site de l’éolienne est assuré par des camions qui roulent au diesel sur des routes en bitume. L’installation est faite par des grues et des hélicoptères brulant du kérosène…
  • une information fort discrète sur le prix élevé du kWh renouvelable (cf. Allemagne, Danemark) En France, on subventionne le MWh renouvelable au moyen de taxes prélevées sur la facture d’électricité. Mais pour le consommateur, que ce soit à cause du prix du kWh ou de taxes, la facture augmente. Le grand public sait-il que la CSPE qui augmente d’année en année sur sa facture est allé en grande partie dans la poche des exploitants d’éoliennes ?

Cette situation permet au secteur d’affirmer qu’il coûte moins cher que le nucléaire et qu’il ne pollue pas. En réalité il prospère grâce aux énergies fossiles et au nucléaire, qu’il exploite largement sans en payer le prix, ce que les media comme les politiques semblent ne pas voir. Il suffit de regarder le TRE des éoliennes. Au pied du mât selon les auteurs, il évoluerait entre 40 (à mon avis très surestimé) et 20 (chiffre prévu par les études, non confirmé sur le terrain) et chute aux alentours de 10 à la sortie du compteur, car il faut prendre en compte le coût de l’intermittence. Un TRE de 10 est inférieur au seuil qu’exige une société complexe comme la nôtre…

Dépendante des énergies fossiles et de subventions, la production d’électricité renouvelable n’est pas extensible à grande échelle. Au fur et à mesure qu’elle croît, elle scie la branche sur laquelle elle est assise.

La réglementation doit changer : ne plus subventionner le MWh renouvelable, limiter l’obligation d’achat (priorité d’accès au réseau) à un certain seuil. Mieux protéger les riverains des éoliennes. S’affranchir complètement des énergies fossiles.

Alimenter notre pays en énergie 100% renouvelable fera chuter notre niveau de vie

Pour la clarté de mon exposé, je prends un scénario extrême, l’énergie est à 100% renouvelable. Je passe sous silence le processus qui nous y a conduit… Ce scénario n’est durable que si l’énergie servant à fabriquer et entretenir éoliennes et capteurs solaires est elle aussi renouvelable (on en est loin !). Les centrales nucléaires ont été fermées. Il n’y a plus ni gaz ni gazole que ce soit pour se chauffer ou pour rouler. Tout ce qui a besoin d’énergie a été électrifié. Toute l’énergie est fournie par de l’électricité renouvelable.

La réglementation actuelle est tombée d’elle-même. L’avantage de la priorité d’accès du renouvelable au réseau disparait puisqu’il est seul ! Les subventions disparaissent pour la même raison. S’appuyer sur les autres fournisseurs pour gérer l’intermittence n’est plus possible, il n’y a plus “d’autres”.

Conséquence les producteurs d’électricité renouvelable doivent se doter de moyens de stockage et y stocker leur propre énergie. Je fais l’hypothèse que le stockage se fait sous forme d’hydrogène, solution qu’on présente comme “l’énergie” du futur (un autre moyen de stockage ne change pas le raisonnement). Petit rappel : l’hydrogène n’est qu’un vecteur d’énergie permettant le stockage et le transport de l’électricité qu’il faut bien produire avant…

Notre système électrique du futur comprendrait donc

  • un très grand nombre d’éoliennes et de capteurs photovoltaïques, de barrages, capables de fournir toute l’énergie du pays en électricité, et en hydrogène (pour les engins lourds, camions, tracteurs, engins de chantiers, cargos, ).
  • un réseau RTE renforcé (pour passer les pointes)
  • un réseau de production/stockage/transport d’hydrogène et de piles à combustibles. Le rendement de bout en bout de cette filière n’atteint pas 30% (électrolyse, compression, liquéfaction, transport, gazéification, production d’ électricité)

Tout cela représente des dépenses considérables en Euros et en énergie (surtout fossile), aussi bien en investissement qu’en fonctionnement. Et rien ne dit qu’on aura autant d’énergie qu’actuellement. Quel peut être le TRE de ce système ? 12 ? 10 ? moins ?

Je reprends la hiérarchie de nos besoins représentée par la figure 1. Un TRE inférieur à 14 signifierait un renoncement au moins partiel aux activités culturelles, artistiques, voire de loisir. Un TRE inférieur à 12 signifie un système de soin moins technologique et moins universel. On ne soigne plus tout le monde… Un TRE inférieur à 10 implique moins d’élèves, moins d’étudiants dans les écoles et universités. On observera qu’avec la pandémie de COVID, nous avons un aperçu de cette situation, mais elle n’est que temporaire. Dans une société disposant de moins d’énergie, la situation serait durable sans perspective. Du moins si on ne fait rien.

Un sursaut et un changement de nos comportements paraissent nécessaires pour nous adapter à cette nouvelle donne. Par exemple nous pouvons choisir de moins dépenser en vêtements, en nourriture, en transport, pour investir davantage dans l’Ecole, dans l’Hôpital. Manger moins de viande, posséder une voiture plus petite, moins s’en servir, ne pas coller à la mode, sont des comportements souhaitables et à notre portée. Il faut aussi que les politiques s’attellent à la réduction des inégalités. Quand les ressources se font rares, il n’est pas sain que les uns aient (presque) tout et les autres (presque) rien.

On peut alléger les contraintes du scénario 100% renouvelable, en conservant 50% de nucléaire dans le réseau, et le gaz dans l’industrie et le transport de marchandises mais avec séquestration du CO2. Cela n’améliore guère les choses. Le nucléaire aura un facteur de charge trop faible pour être rentable : ne fonctionner que pendant les creux du renouvelable est une solution de riche. Quant au gaz, de plus en plus cher à extraire, son TRE sera très bas, séquestrer le CO2, technologie non mature et chère, le fera encore baisser. La situation n’est pas vraiment meilleure…

Selon les standards actuels, une énergie 100% renouvelable conduira à une baisse de notre niveau de vie

Conclusion

Remarque préliminaire : faut-il vraiment croire ces mauvaises nouvelles ?

Le raisonnement ci-dessus n’a qu’une valeur théorique. Il s’appuie sur une évaluation de l’efficacité des ENR, peut-être trop pessimiste. Certes, le pire n’est jamais sûr et on peut toujours espérer que les inventions futures nous sauveront… Mais pendant que nous espérons, la grenouille s’endort dans son jus….

 J’ai écrit ce papier pour corriger le discours des politiques qui présentent les énergies renouvelables comme La solution au remplacement des énergies fossiles carbonées, solution qui serait sans conséquences fâcheuses sur notre vie quotidienne. Ce serait comme d’habitude, “Business as usual”.

Sauf que ça ne sera pas le cas. Il y aura un prix à payer : changer notre façon de vivre. Ces énergies ne permettront pas de maintenir notre niveau de consommation actuel, qu’on appelle abusivement niveau de vie. Or ce changement n’est jamais évoqué par les politiques. C’est un mensonge par omission…

Nous sommes peut-être en train de vivre sans le savoir, le début de la fin de la société de consommation. Ce n’est pas dramatique. Être un consommateur effréné, harcelé par la publicité, dans un monde de marchands soumis à une prétendue concurrence libre et non faussée, est-ce vraiment la vie idéale dont nous rêvons ?

A nous de trouver par quoi remplacer la consommation sans fin de “choses” comme source de bien-être. Commençons par relire Les choses de Pérec et écouter la chanson de Boris Vian, la complainte du progrès.

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