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Le changement climatique la transition énergétique et notre mode de vie. Partie 7 : manger ou conduire ?

SP95, SP95-E5, SP95-E10 : ils ont mis de l’alcool dans le Super

 Sur les trappes à essence de nos voitures on trouve l’indication E5, E10. Même chose sur les pompes à essence, le plus souvent précédé de SP95.

Les sigles E5 et E10 signifient que le super SP95 contient entre 5 et 10% d’éthanol. Le prétexte de cet ajout est qu’il rendrait le super moins nocif pour la planète. Inutile de dire que je n’y crois pas une seule seconde. J’explique pourquoi dans la suite de cet article.

L’agriculture moderne est dopée à l’énergie fossile, elle ne peut pas produire d’énergie renouvelable

 Petros Chatzimpiros chercheur à Paris-Diderot a étudié l’évolution de l’agriculture française, qu’il appelle « ferme France », depuis la première guerre mondiale jusqu’à nos jours. Il s’est surtout intéressé à sa consommation d’énergie. La ferme France est passée de l‘autosuffisance énergétique jusque vers 1920, à un usage croissant d’énergie fossile ensuite, pour devenir massif de nos jours. Il qualifie même cet usage, de dopage à l’énergie fossile.

Cette analyse n’est pas étonnante. Il suffit de se souvenir que même au début des années 50, il y avait encore en France des chevaux de trait dans de nombreuses fermes. Le fourrage produit par la ferme servait d’énergie primaire, transformée par les animaux en force musculaire, que le fermier utilisait pour tracter ses machines agricoles (charrue, herse, charrette, etc.), alors dépourvues de moteur. Pas besoin de gazole. Pas besoin non plus d’acheter des engrais chimiques, le fumier et la pratique de la jachère suffisaient à maintenir la fertilité du sol.

Les choses ont commencé à changer après la deuxième guerre mondiale. Les tracteurs et autres moissonneuses-batteuses ont remplacé les chevaux et les boeufs. Les engrais chimiques ont fait exploser les rendements agricoles. Mais la contrepartie de ces « progrès » est une consommation massive d’énergie fossile : directe sous la forme de carburant pour les tracteurs et autres engins, l’irrigation, le chauffage des serres, etc, mais aussi indirecte sous la forme notamment des engrais fabriqués dans le monde au prix d’une consommation massive d’énergie pas chère.

En comparant l’énergie consommée (directe et indirecte) par la ferme France, à l’énergie qu’elle produit (la biomasse), Petros Chatzimpiros est arrivé à ce constat : la ferme France abuse d’énergie fossile. Son modèle n’est pas viable.

 Le fermier de 1900 fait mieux que le fermier de 2000.!

Alors prétendre faire produire par cette agriculture, du carburant pour nos voitures, plutôt que de la nourriture pour les gens, n’est pas une solution. Elle dépend trop de la disponibilité d’ énergies fossiles. C’est une « solution » qui n’est qu’un leurre.

Le cheval de trait fait mieux que le moteur thermique

 Le dessin ci-dessous illustre cette affirmation (inspirée des publications de P. Chatzimpiros).

Les végétaux stockent l’énergie solaire qu’ils reçoivent, dans la matière végétale dont ils sont constitués. C’est ce qu’on appelle la biomasse. C’est un stock d’énergie. Comme l’énergie se conserve (1er principe de la thermodynamique) il est possible de la transformer en énergie mécanique :

  • grâce à la force musculaire d’un animal consommant la biomasse comme nourriture,
  • ou en produisant de l’alcool (éthanol), par exemple par fermentation naturelle de végétaux, utilisé comme carburant d’un moteur thermique.

Dans les deux cas le rendement de bout en bout (biomasse – > énergie mécanique) est quasiment le même… Etonnant non ?

La situation est encore plus défavorable au moteur thermique si on prend en compte le coût de production de la biomasse. Le cheval peut se nourrir de l’herbe des prairies qui pousse naturellement. Ce n’est pas le cas du moteur thermique qui a besoin que des agriculteurs produisent des cultures, que des industriels les transforment en carburant, et fabriquent des tracteurs. Tout cela exige du travail humain, de l’énergie (fossile) et des terres fertiles (donc de l’engrais)…

Pas sûr qu’il y ait au final plus d’énergie dans les agrocarburants, qu’on en a dépensé pour les produire. Pas sûr non plus que ce carburant d’origine agricole soit plus « vert » que le super classique…

Le faible gain énergétique de la production d’éthanol agricole et sa grande dépendance à l’énergie fossile montrent l’incongruité de cette production. Mais le pire est la concurrence qu’elle introduit dans l’usage des terres agricoles, entre la production de nourriture, et la production (vraiment ?) de carburant. En raison de la raréfaction inéluctable des sources d’énergie fossile, il y a un risque d’accaparement des terres agricoles par la filière agrocarburant. C’est le cas au Brésil, où les petits fermiers chassés de leurs (bonnes) terres se replient sur l’Amazonie. La France et au delà l’Europe, grosse importatrice d’énergie fossile de plus en plus rare (et condamnée par le besoin de protéger le climat), n’est pas à l’abri de ce risque.

Comment en est-on arrivé là ?

Une réglementation perverse et dangereuse pervertit l’agriculture en pourvoyeuse de carburant

 Le secteur agrocarburant se développe, alors qu’il consomme trop d’énergie pour être durable et rentable. Or il semble être rentable. Comment est-ce possible ?

Cela résulte d’une réglementation volontairement favorable aux agrocarburants ignorant les lois de la physique, comme le montre le dessin ci-dessous.

On voit, en suivant les flèches noires que le carburant E5 ou E10, n’est obtenu qu’en consommant d’abord beaucoup d’énergie fossile :

  • indirectement à travers l’achat d’engrais chimiques (produits à partir de pétrole),
  • sous forme de gazole pour le tracteur, et autres engins
  • dans la transformation de la biomasse en alcool,
  • dans l’acheminement de l’éthanol jusqu’aux unités de production de SP95-E5 ou E10.
  • Enfin je rappelle qu’environ 2/3 de cette énergie est dissipée en chaleur par le moteur thermique de nos voitures…

Comme je l’ai déjà expliqué la production d’agroéthanol est d’un rendement trop faible pour être intéressante sur le plan énergétique. Pourtant les flèches rouges (flux financier) montrent qu’entre les recettes et les dépenses, il y a un gain. Cette affaire est donc rentable.

La rentabilité financière ne s’explique que parce que les gouvernements européens ont créé un marché captif pour ce produit en légalisant son ajout à l’essence de nos voitures. D’où la normalisation des appellations SP95-E5 et SP95-E10 par l’Union Européenne. L’agroéthanol bénéficie ainsi de vastes débouchés. De plus, moins taxé que les produits pétroliers, il se vend à bon prix pour le producteur. On ne peut pas non plus écarter l’efficacité du lobbying des betteraviers et autres producteurs de sucre, pour faire valoir leurs intérêts.

Tout ça sous prétexte que le SP95-E5 ou -E10 serait moins cher, et moins polluant. Ce qui reste à démontrer.

Voilà comment on encourage par intérêt, idéologie et mépris des réalités, déforestation, détournement d’usage des terres agricoles, et maintien de nos modes de vie extravagants. Or c’est la sobriété qui devrait être la priorité des gouvernants comme des citoyens. Il faut croire que la sobriété n’est pas séduisante.

Daniel Beaucourt

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