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Municipales 2020 : Sémiologie de l’image et communication politique de Messieurs Laurent Vastel et Gilles Mergy

Je me permets ce billet dans le cadre de l’actuel second tour des municipales, en réaction à une image apparemment anodine qui a pourtant réussi à hérisser très fortement le particulier que je suis. Elle peut être le point de départ d’une réflexion de chacune et chacun sur le poids pas si anecdotique que peut malheureusement avoir une image dans ses propres intentions de vote, que cela soit pour ou contre quelqu’un, et de la place que nous accordons – ou non – aux chimères de toute communication politique, personnelles ou socialement construites.

Je précise en préambule que, même si j’ai une sensibilité portée sur l’éducatif et le social, je n’appartiens à aucun parti et ai fait objectivement l’effort de m’intéresser à tous les candidats. Cependant, récemment installé à Fontenay qui a conquis mon cœur, je me sens incapable de discerner le vrai du faux dans les affirmations et programmes des uns ou des autres, même si je dois confesser une certaine méfiance épidermique, instinctive, irraisonnée pour M. Vastel, pour l’avoir croisé et observé à plusieurs reprises durant ses prises de contact en campagne électorale. Pas très rationnel donc. Je me préparais malheureusement à m’abstenir ou voter blanc.

Or donc, c’est une photo, une simple photo, une unique photo qui a changé la donne. La photo qui orne justement, en haut et à droite, le tract de second tour de M. Vastel.

Pour argumenter mon propos, je déploierai si vous le voulez bien une technique d’analyse développée par le philosophe et logicien pragmatique Charles Peirce, puis une autre développée par le sémiologue Roland Barthes dans ses « Mythologies ». Outils utilisés quand j’étais doctorant en com’ et qui parfois ressurgissent violemment, par réflexe d’autodéfense.

Abordons d’abord la « priméité » de l’image, son iconicité, ce qu’elle présente plastiquement et le sentiment qu’elle peut inspirer de manière immédiate.

Nous y voyons un homme qu’on peut qualifier de « bonhomme » : il est assis sur un banc à l’assise et au dossier de bois, silhouette et visage un peu forts affichant un sourire discret encadré par une barbe bouc et des lunettes. Il nous regarde droit dans les yeux mais n’est pas appuyé sur le dossier : il est bassin en avant, les coudes appuyés sur les genoux de son pantalon bleu. Le col de sa chemise ciel est ouvert. Sa veste bleue, sur laquelle est accroché un ruban rouge, a les manches légèrement retroussées, révélant une montre à aiguilles. Ses deux mains sont jointes, la paume de l’une appuyée sur le dos de l’autre, tenant pendu probablement par les élastiques un masque facial blanc d’allure chirurgical. A l’arrière-plan, on distingue un fond composé de lierres et de branches de résineux accrochés sur un mur de briques brunâtres, clôturant cet espace en un sentiment d’intimité oxygénante. Quelques rayons de soleil s’y reflètent, passant entre des branches d’arbre hors champs. En bref, cet homme tranquille semble apprécier de prendre l’air dans son petit coin de jardin en notre compagnie.

Passons ensuite à la « tiercéité » de l’image : en quoi elle révèle des habitudes, des codes sociaux mais aussi ce qu’elle peut révéler d’arbitraire par rapport à ses conditions de production et d’énonciation.

Or un élément arbitraire s’est effectivement inséré dans le processus technique de production de l’image : le nom manuscrit. Il n’a pas été capturé par l’appareil photo mais sciemment surimposé en blanc à l’image. Cet usage du nom manuscrit sur la photo évoque volontiers la pratique sociale initiale de la dédicace : une personne de grande notoriété personnalise davantage encore sa propre image, à la demande et au bénéfice de fans. Il ne s’agit pas tant d’identifier la personne autographiée (on sait qui elle est, puisqu’elle est déjà largement publicisée) que de signifier une rencontre proximale et privilégiée, pour ne pas dire exclusive. Un sens qui tend à perdurer même s’il s’est, ici, industrialisé.

Le vert domine la surface, indubitablement associé à la nature, au végétal et conventionnellement à l’écologie. Nombre de candidats ont usé de ce fond de verdure, suite à l’augmentation si ce n’est de leurs propres préoccupations environnementales, du moins des scores écologistes. Le bleu marine suit, majoritaire sur la personne imagée. Partie intégrante du drapeau tricolore, le marine est historiquement associé aux partis de la droite républicaine avant d’avoir été repris par l’extrême droite pour attirer ce même électorat. Ceci participe à renforcer l’orientation politique de son porteur auprès des habitués et supporters. Quant au rouge du fin bandeau de la veste, s’il est historiquement associé aux partis de gauche, il est ici un code qui signale que son porteur est membre d’un ordre honorifique sur lequel nous reviendrons sous peu. Le blanc se manifestant par le masque, on retrouve discrètement les couleurs de notre drapeau national.

Nous avons en outre l’habitude de rencontrer la posture présentée : c’est l’une de celles que nous prenons quand nous sommes assis et intéressés par une conversation. En termes plus savants, nous avons là une traduction kinesthésique (en gestes) de la fonction phatique (mise en relation communicationnelle). Par ailleurs, le col de chemise ouvert est habituellement associé à la décontraction (nous reviendrons sur ce col un peu plus tard), en opposition à la montre, associée aux impératifs sociaux de la ponctualité.

Le masque naso-buccal est quant à lui devenu un signe quotidien : on le voit partout, en raison de la récente pandémie. Il a fait et continue de faire l’objet de polémiques, qu’il s’agisse de l’absence de stocks pour les personnels soignants, de l’efficacité ou non des masques tissus ou non tissés… mais il reste conventionnellement associé à la protection. Du porteur et/ou de son entourage.

Passons enfin à la « secondéité » de l’image : en quoi chaque signe qui s’y manifeste témoigne de ce qui ne se trouve pas explicitement dans l’image, de quoi il est l’indice singulier, la trace, la conséquence hors de l’image.

Le col de chemise ouvert est ici conjugué avec un costume 2 pièces, signalant en contrepoint une absente : la cravate, pendant du traditionnel costume/cravate, évoquant l’usage social (tiercéité) de la libération, du relâchement.

L’image est une photographie. Elle témoigne déjà de la présence du photographe dont on ne sait rien (pas de crédit photo). Qui est-il ? Quel est son statut ? Un(e) professionnel(le) ? Un(e) sympathisant(e) ? Un(e) proche ? Le doute s’installe : l’attitude de décontraction serait-elle alors prise sur le vif ou artificiellement travaillée ? Dans un contexte d’élection, le côté travaillé et opérationnalisé du cliché peut légitimement prédominer l’interprétation, d’autant que le regard du photographié fixe l’appareil photo : du photographe hors-cadre, l’image bascule en vision subjective des spectateurs que nous sommes, hors-champ.

Le ruban rouge témoigne spécifiquement de l’appartenance de son porteur au grade de Chevalier de la Légion d’honneur, tentant ainsi de faire la preuve de 20 années minimum de « mérites éminents au service de la Nation », attestés par une institution prestigieuse qui lui a donc décerné ce ruban suivant des modalités dont le commun des mortels ne sait pourtant rien, et dont les descriptifs sommaires restent flous pour qui entreprend malgré tout de s’informer : décerné par le Ministère de la Santé pour 22 ans de services civils et d’activités sociales (M. Mergy, adversaire de M. Vastel, étant lui aussi décoré pour 22 ans de services dans la fonction publique). Ce ruban témoigne aussi de l’attachement du porteur aux signes ostentatoires de l’honneur. Car on peut avoir été honoré sans vouloir montrer qu’on l’a été. Un ruban apparent dont le dramaturge Georges Feydeau singeait déjà la superficialité risible, il y a un siècle, dans l’une de ses meilleures pièces.

Enfin le masque. Signe-trace qui rappelle la maladie contractée par son porteur et la médiatisation non négligeable consécutive au statut particulier du malade, politique ET médecin, croisement qui en fait selon les usages du milieu journalistique un « bon client » pour une « bonne histoire » dans un contexte de controverse politico-médical. Signe-trace qui rappelle aussi les masques « gratuitement » et abondamment distribués aux concitoyens en son nom. Signe-trace qui peut enfin mobiliser dans la bouche de ses opposants l’argument légitime – ou non – du « comportement contradictoire du Maire » face à la contamination.

A présent, rentrons dans le registre des récits implicites que peut produire la combinaison de l’ensemble de ces signes, ce que Barthes appelle « système de signification second » ou « connotation ».

Avec cette image, nous n’avons plus vraiment affaire avec un candidat. Nous faisons face à une figure amicale, voire paternelle, déjà méritante avant la pandémie, mais qui, durement touchée par la maladie, s’en est vaillamment sortie et a choisi de protéger ses administrés. La crise est toujours là, comme le rappelle le masque, mais ledit héros, déconfiné, reste apaisé dans une posture d’écoute, accessible et intéressé par les besoins de ses concitoyens dont il a su partager le destin et la souffrance. Sa montre suggérant peut-être, à qui surinterprète en imaginant le tictac, qu’il est à présent temps de voter pour lui…

Le dispositif sémiotique est, reconnaissons-le, très ingénieux. Peut-être ce storytelling est-il le fruit accidentel d’un moment de relâchement capturé, même si la densité sémiotique du cliché pourrait laisser à croire qu’il a été en partie travaillé. Cliché que le candidat lui-même a trouvé en tout cas assez séduisant pour le diffuser dans chaque foyer.

Et c’est bien là qu’est le problème.

En effet, dans la grande majorité des traditions éthiques ou morales, le « vertueux » n’exhibe jamais les signes de sa vertu. Car toute ostentation est ennemie de l’humilité et de la compassion. Elle n’est que mise en scène de ses propres démons, afin d’exercer une fascination, susciter la foi ou l’effroi. D’ailleurs dans le christianisme, dont la philosophie exerce toujours une influence – même profane – sur nombre de représentations contemporaines, seuls le Christ et ses saints révèlent leurs stigmates, signes de son sacrifice et de leur transfiguration dans et par la souffrance. Cette image autographe virant à l’image pieuse devient alors très embarrassante…

Bien sûr, je pourrais écrire sur la communication picturale du candidat Mergy, qui n’est pas moins artificielle mais reste dans les « canons » bien balisés de l’iconographie électorale, telle qu’elle s’est instituée depuis un demi-siècle. À l’exception peut-être de ces surprenants et risibles « santons » au dos du tract de second tour, M. Mergy tenant son téléphone comme un fétiche, debout jambes écartées, en costume lui-aussi relâché, seconde de liste sur une marche à ses côtés dans une pose – qu’on me pardonne l’expression – de « catalogue prêt-à-porter », et autres colistiers improbablement disséminés dans des postures figées, regards épars, certains tenant du bout des doigts… l’incontournable masque ! D’ailleurs, à titre personnel, je dois reconnaître n’être pas sûr que M. Mergy soit politiquement plus fiable que M. Vastel. Si l’image qu’il propose avait des qualités prophétiques, on pourrait ainsi s’inquiéter d’un immobilisme à venir, dû au manque de leadership et/ou de vision commune avec son équipe (critique qu’on lui a porté et dont il a cherché à se défaire).

Ce propos peut paraître superficiel, face aux nombreux arguments de terrain que peuvent déployer les uns et les autres. Mais dans le flou de toute campagne, je ne peux personnellement et malheureusement juger que sur ce que je connais. Et l’usage éthique de la communication est un de ces domaines.

Or donc, si à Fontenay comme ailleurs, des élus de droite comme de gauche se servent pareillement du masque comme plus-value politique, si à Fontenay comme ailleurs, les candidats et leurs supporters se balancent sans vergogne des noms d’oiseaux, pour moi, l’image de campagne de M. Vastel à Fontenay-aux-Roses, c’est le masque de trop, le stigmate indécent d’une communication politique sans pudeur, instrumentalisée à la limite de la démagogie.

Guillaume Laigle

PS : de manière sans doute présomptueuse, j’invite la lectrice, le lecteur, à suivre et étudier la circulation de ce billet et comment il est réapproprié. Car à n’en pas douter, par la sélection partielle et partiale, les ajouts et suppressions, la recontextualisation, le commentaire, bref toutes les transformations dont il fera peut-être l’objet (ce que le chercheur en sciences de l’information et de la communication Yves Jeanneret appelle « trivialité »),  il révélera en cette fin de campagne la créativité, l’intelligence mais aussi l’opportunisme et la mauvaise foi de tout électorat. Bonnes élections à toutes et tous.

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